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Contrôle et contentieux

Engagement de revendre : quand une vérification de comptabilité peut fonder un redressement des droits d'enregistrement

Le juge de l'impôt se prononce sur une question qui continue d'alimenter la pratique : l’administration fiscale peut‑elle utiliser les éléments collectés lors d’une vérification de comptabilité portant sur une période postérieure pour remettre en cause l’exonération de droits d’enregistrement dont a bénéficié un marchand de biens lors de l’acquisition d’un immeuble  ? 

 

L'article 1115 du CGI prévoit un régime spécial destiné à soutenir l'activité des marchands de biens. Ce dispositif permet aux personnes assujetties à la TVA de bénéficier d'une exonération temporaire des droits et taxes de mutation lors de l'acquisition d'immeubles, en contrepartie d'un engagement de revente dans un délai de cinq ans. L'efficacité du dispositif repose sur le mécanisme de déchéance organisé par l'article 1840 G ter du CGI. Cet article établit un principe d'automaticité : le simple non-respect de l'engagement dans le délai imparti déclenche l'obligation de payer les droits initialement exonérés, majorés des intérêts de retard.

 

L'article 10 du LPF confère à l'administration un droit de contrôle général sur les déclarations et actes utilisés pour l'établissement des impôts, tandis que l'article 47 du même livre encadre les modalités de la vérification de comptabilité en exigeant un avis préalable précisant notamment les années soumises à vérification.

 

La question qui se pose est de savoir si des informations recueillies lors d'une vérification de comptabilité sur une période donnée peuvent fonder un redressement pour des droits de mutation dont le fait générateur est antérieur à cette période. La jurisprudence de la Cour de cassation, notamment un arrêt du 31 octobre 2006, a jugé que les droits d'enregistrement peuvent être contrôlés dans le cadre d'une vérification de comptabilité s'ils procèdent d'une activité professionnelle qui implique la tenue d'une comptabilité ou s'ils sont assis sur des éléments comptables de cette activité.

 

 

Rappel des faits :

La SARL P, société spécialisée dans les opérations immobilières a acquis le 10 août 2007 une parcelle cadastrée comportant une maison d'habitation pour un montant de 2,4 M€. Pour bénéficier du régime de faveur, la société s'était engagée dans l'acte notarié à procéder à la revente du bien avant le 11 juin 2012, bénéficiant ainsi du régime susvisé des achats en vue de leur revente (Art. 1115 du CGI).

A l’occasion d’une vérification de comptabilité de la SARL P limitée aux exercices 2013‑2014 (IS et TVA), l'administration a constaté que la société avait procédé à la vente d'une partie seulement de la parcelle initialement acquise, sans respecter l'engagement global de cession qui conditionnait l'exonération initiale. Face à ce manquement, l'administration avait procédé à la remise en cause rétroactive du régime de faveur et au rappel des droits d'enregistrement initialement minorés.

Une première proposition de rectification (août  2016) a été annulée, puis une nouvelle notification est intervenue le 10 mars 2017. Les avis de mise en recouvrement ont suivi en août de la même année.

Contestant ces rappels, la société a formé une réclamation contentieuse en décembre 2020, partiellement admise pour les seuls intérêts de retard. Estimant la procédure irrégulière, elle a assigné l’administration fiscale devant le TJ Draguignan afin d’obtenir la décharge intégrale.

 

  • Devant le tribunal, la SARL P soutient que depuis les arrêts de la chambre commerciale du  31 octobre  2006, les droits d’enregistrement dus par les marchands de biens ne peuvent être remis en cause qu’au terme d’une vérification de comptabilité couvrant l’année même où ces droits sont devenus exigibles. Selon lui, les renseignements tirés d’un contrôle portant sur 2013‑2014 ne pouvaient donc fonder des rappels relatifs à une exigibilité fixée en 2012. A défaut, la procédure méconnaissait les articles L. 10 et L. 47 du LPF ainsi que les garanties issues de la Charte du contribuable vérifié. La société tente ainsi d'établir un principe selon lequel l'administration ne pourrait utiliser des informations recueillies lors d'une vérification que pour contrôler des droits relatifs exactement à la même période, excluant ainsi tout contrôle d'éléments antérieurs même lorsque ces derniers ne sont pas prescrits et présentent un lien de connexité avec la période effectivement vérifiée.

 

  • De son côté l'administration rappelle que si les droits d'enregistrement ne peuvent pas eux-mêmes faire directement l'objet d'une vérification de comptabilité au sens strict, l'administration conserve néanmoins la faculté d'utiliser des renseignements recueillis lors de telles vérifications pour fonder des redressements portant sur ces droits, dès lors qu'existe un lien de connexité suffisant. Elle souligne notamment que l'acte d'acquisition de 2007 n'était nullement étranger à la vérification de comptabilité puisqu'il avait nécessairement été examiné pour déterminer les rehaussements et rappels relatifs à la vente partielle intervenue en 2013, cette dernière opération constituant l'élément déclencheur de la découverte du manquement à l'engagement de revente. Pour l'administration le véritable fait générateur des droits  litigieux n'était pas l'acte d'acquisition de 2007 mais bien l'échéance du délai de revente, soit le 11 août 2012. Partant, ces droits étaient légalement dus et exigibles au cours des années effectivement vérifiées (2013-2014), en l'absence de toute prescription. Pour mémoire le droit de reprise de l'administration demeure ouvert pendant six ans à compter de l’expiration du délai de revente (Art.  L186 du LPF) : le 11 août 2018.

 

Le TJ de Draguignan a débouté la SARL P de sa demande en décharge

 

Il a d'abord confirmé que l'administration pouvait parfaitement contrôler les droits d'enregistrement dus à l'occasion de l'exercice de l'activité professionnelle dès lors que ces droits apparaissent ou devraient logiquement apparaître en comptabilité.

 

Il a ensuite précisé, en s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour de cassation, que l'administration pouvait légitimement utiliser des éléments recueillis lors d'une vérification de comptabilité pour motiver un redressement en matière de droits d'enregistrement, même lorsque la date du fait générateur initial de ces droits est antérieure à la période effectivement vérifiée, sous la double réserve de l'absence de prescription et de l'existence d'un lien de connexité suffisant entre les éléments contrôlés et la période de vérification.

    • En l'espèce, il a constaté que la date d’exigibilité (l’échéance de l’engagement, soit le 11  août  2012) place le droit de reprise de l'administration dans la période 2012‑2018. Les exercices 2013‑2014, objets de la vérification, se situent donc à l’intérieur de cette période.  Ce qui signifie que les droits n'étaient pas prescrits au moment de la vérification et des rectifications..
    • En outre, l’examen de l’acte d’acquisition de 2007 était nécessaire pour contrôler la cession partielle intervenue en 2013 et la détermination du résultat imposable. Les informations ainsi obtenues faisaient corps avec la comptabilité vérifiée  et leur utilisation pour motiver le redressement n’entraîne, pour le juge de l'impôt, aucune nullité.

 

Publié le mercredi 30 juillet 2025 par La rédaction

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