Le juge de l'impôt nous rappelle les conditions d'octroi des intérêts moratoires, en précisant les contours de la distinction entre les réclamations visant à réparer une erreur d'assiette ou de calcul et celles tendant à obtenir le bénéfice d'un droit législatif ou réglementaire.
L'article L. 208 du LPF, organise, à certaines conditions, au profit des contribuables ayant obtenu un dégrèvement contentieux, le paiement d'intérêts moratoires ainsi que le remboursement des frais de constitution de garantie.
Ainsi, en application du premier alinéa de l'article L. 208 du LPF précité, les contribuables sont en droit d'obtenir le paiement d'intérêts sur les remboursements effectués en raison de dégrèvements d'impôts de toute nature prononcés, soit par une juridiction, soit par l'administration, à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions. Par ailleurs, en vertu du deuxième alinéa de ce même article, le contribuable, dont la réclamation est reconnue fondée, en tout ou en partie, en raison de la décision de l'administration ou de la juridiction saisie, est en droit d'obtenir le paiement d'intérêts moratoires lorsqu'il a demandé à surseoir au paiement des impositions contestées en versant une consignation à titre de garantie et que cette consignation, du fait de la décision prise, est restituée totalement ou partiellement.
Pour mémoire, l'article 126 de la LF pour 2024 a étendu le paiement des intérêts moratoires à toutes les situations dans lesquelles l'administration prononce un dégrèvement du fait d'une erreur qu'elle a commise, et ce y compris en l'absence de réclamation ou de condamnation.
Rappel des faits :
M. V avait procédé de son vivant à diverses donations en 1999, 2002 et 2005 au profit de deux personnes, s'acquittant des droits de mutation à titre gratuit correspondants. Lors de son décès en 2016, il a laissaé pour lui succéder son épouse et sa fille unique, Mme V. Cette dernière a exercé une action en réduction des donations consenties par son père pour atteinte à la réserve héréditaire, aboutissant en 2017 à la signature de protocoles d'accord prévoyant le versement d'indemnités de réduction par les donataires.
Constatant que les donations initiales avaient été réduites pour atteinte à la réserve héréditaire, Mme V a alors sollicité en juin 2019 la restitution de la totalité des DMTG perçus lors des donations, ces dernières ayant été partiellement annulées. L'administration fiscale a accueilli favorablement ces demandes en août 2019, procédant aux dégrèvements correspondants.
En juillet 2020, Mme V a en plus exigé les intérêts moratoires sur les sommes restituées. Elle estime que ces intérêts étaient dus en application de l'article L. 208 du LPF, considérant que la restitution des droits correspondait à la réparation d'une erreur dans l'assiette de l'imposition.
Déboutée par le TJ de Nanterre, elle obtient gain de cause devant la cour d’appel de Versailles par un arrêt du 2 avril 2024, laquelle a jugé que l’article L 208 du LPF n’exige pas que l’erreur soit imputable à l’administration. Pour la Cour le texte s'applique dès la constatation d'une erreur dans l'assiette ou le calcul, peu important l'origine de cette erreur.
L'administration fiscale s'est pourvue en cassation, reprochant à la cour d'appel d'avoir violé l'article L. 208 du LPF. L'administration soutient qu'aucune erreur n'a été commise dans la liquidation initiale des droits restitués et que, par conséquent, les conditions de versement des intérêts moratoires ne sont pas remplies.
La Cour de Cassation vient de censurer l'arrêt de la Cour d'appel
Pour la haute juridiction lorsqu’une réclamation a pour objet « le bénéfice d’un droit résultant d’une disposition législative ou réglementaire », la restitution opérée dans le délai de réponse (article R 198‑10 LPF) n’ouvre aucun droit à intérêts. Tel est bien le cas d’une réduction de donation, laquelle constitue un mécanisme successoral prévu par le code civil et non la rectification d’une erreur fiscale originelle.
Il résulte de la combinaison des articles L. 190 et L. 208 susvisés que les dégrèvements prononcés par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à obtenir le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire n'ouvrent pas droit au versement par l'État au contribuable d'intérêts moratoires.
Cette règle connaît toutefois une exception importante : les intérêts moratoires sont dus si le dégrèvement intervient postérieurement au rejet, explicite ou implicite, de la réclamation par l'administration.
La Cour de cassation a relevé que la réclamation de Mme V visait à obtenir le bénéfice d'un droit résultant de l'action en réduction successorale, mécanisme légal de protection de la réserve héréditaire. Cette réclamation ayant été accueillie par l'administration dans le délai légal, aucun intérêt moratoire n'était dû.