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Droits d’enregistrements

Exonération de DMTO et engagement de construire : quand le formalisme de la DAACT prime sur la réalité des travaux

Cette décision qui vient de statuer sur le manquement à l'engagement de construire prévu à l'article 1594-0 G A du CGI nous rappelle  la stricte exigence de la preuve de l'achèvement des travaux dans le délai légal pour bénéficier de l'exonération des droits d'enregistrement.

 

L'article 1594-0 G du CGI dispose que sont exonérées de droits d'enregistrement les acquisitions d'immeubles réalisées par une personne assujettie à la TVA, lorsque l'acte d'acquisition contient l'engagement d'effectuer dans un délai de quatre ans les travaux conduisant à la production d'un immeuble neuf. Cette exonération est subordonnée à la condition que l'acquéreur justifie, à l'expiration du délai de quatre ans, de l'exécution des travaux prévus.

 

Les modalités de justification de l'exécution des travaux sont détaillées à l'article 266 bis de l'annexe III au CGI qui énumère limitativement les documents permettant de prouver cet achèvement. Plus précisément, le I. de l'article 266 bis dispose que la justification de l'exécution des travaux résulte :

  • Du dépôt de la déclaration spéciale mentionnée au I de l'article 244 de l'annexe II du CGI (pour certains cas spécifiques).
  • Dans les autres cas (ceux de l'espèce), du dépôt en mairie de la déclaration attestant de l'achèvement des travaux et de la conformité des travaux de construction ou d'aménagement au permis délivré ou de la déclaration préalable, mentionnée à l'article L. 462-1 du code de l'urbanisme.

 

Enfin, en cas de non-respect de l'engagement, l'article 1840 G ter du CGI prévoit l'application de sanctions sous forme de rappels de droits de mutation à titre onéreux, assortis d'intérêts de retard et de pénalités.

 

Rappel des faits :

La SCI H a procédé à l'acquisition de deux terrains contigus situés à Allauch dans le cadre d'un projet de construction d'usine. Le premier terrain, d'une superficie de 7 988 m², a été acquis par acte notarié du 5 juin 2014 au prix de 1,2 M€HT. Le second terrain, contigu au premier et d'une superficie de 8 950 m², a été acquis par acte notarié du 28 février 2017 au prix de 1,285 M€HT

Dans chacun de ces actes, la SCI a pris l'engagement d'effectuer des travaux conduisant à la production d'un immeuble neuf dans le délai de quatre ans, afin de bénéficier de l'exonération des droits d'enregistrement. Les délais d'exécution expiraient donc le 5 juin 2018 pour le premier terrain et le 10 juin 2021 pour le second, ce dernier délai ayant été prolongé en application de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative aux mesures de prorogation de délais échus pendant la période d'urgence sanitaire.

Les permis de construire ont été obtenus les 29 mai et 26 juin 2018. Cependant, la déclaration attestant l'achèvement et la conformité des travaux n'a été déposée en mairie que le 15 novembre 2021, avec la mention que le chantier avait été achevé le 21 octobre 2021.

Par une proposition de rectification du 29 avril 2022, l'administration fiscale a notifié à la SCI H des rappels de droits  d'un montant de 138 545 €, au motif que la société n'aurait pas respecté ses engagements de construire dans les délais impartis.

 

Après rejet de sa réclamation et de son recours hiérarchique, la SCI a saisi le tribunal judiciaire de Marseille.

 

La SCI H :

  • soutenait que les deux acquisitions avaient été réalisées pour un projet unique de construction d'une usine, la seconde acquisition ayant été rendue nécessaire en raison de contraintes résultant de la réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement. Selon cette logique, la seconde acquisition devait être analysée comme faisant courir un nouveau délai de quatre ans pour la construction de l'ensemble du projet.
  • invoquait également le fait qu'une demande de prorogation du délai avait été adressée à l'administration le 5 juin 2019 et que l'usine était opérationnelle le 1er juin 2021. Pour étayer cette affirmation, elle produisait plusieurs documents :
    • un bail commercial conclu avec la société TECHNICO FLOR le 4 juin 2021,
    • un contrat de fourniture d'énergie électrique du 10 mars 2021,
    • un document "Consuel" du 30 mars 2021,
    • diverses attestations et photographies,
    • ainsi qu'un procès-verbal de réception partielle des travaux avec réserves du 1er juin 2021.

Le tribunal vient de débouter la SCI H de sa demande.

 

Le juge a d'abord rappelé les délais applicables : 5 juin 2018 pour le premier terrain et 10 juin 2021 pour le second, en tenant compte de l'ordonnance liée au COVID-19.

 

Le point important de la décision réside dans l'analyse de la preuve de l'achèvement des travaux. La SCI a produit plusieurs documents pour prouver que l'usine était opérationnelle au 1er juin 2021 (bail commercial, contrat d'énergie, Consuel, attestations, procès-verbal de réception partielle). Cependant, le tribunal a jugé que ces documents ne démontraient pas l'achèvement des travaux au sens fiscal. En effet, il a considéré que les documents invoqués par la société ne démontraient pas l'achèvement effectif des travaux avant l'expiration du délai. Le tribunal a notamment relevé que :

  • le contrat de bail n'était pas accompagné de l'état des lieux mentionné et ne constituait pas une preuve de l'entrée effective du preneur dans les lieux.
  • Le document "Consuel" n'était qu'une demande de raccordement électrique pour des essais,
  • et le procès-verbal de réception définitive n'était pas produit.

Mais surtout, le tribunal s'est appuyé sur l'article 266 bis de l'annexe III au CGI. Il a souligné qu'aucun des documents produits par la SCI ne constituait la déclaration attestant de l'achèvement des travaux et de la conformité au permis de construire (la DAACT), mentionnée à l'article L. 462-1 du Code de l'urbanisme. Le tribunal a rappelé que cette déclaration est l'une des deux seules justifications formellement admises par le texte fiscal pour prouver l'exécution des travaux requis pour l'exonération.

 

En l'espèce, la DAACT n'a été déposée par la SCI H à la mairie que le 15 novembre 2021, avec la mention que le chantier avait été achevé le 21 octobre 2021. Ces dates sont clairement postérieures au délai d'achèvement fixé au 10 juin 2021. Faute pour la SCI H de démontrer que les travaux ont été achevés avant le 10 juin 2021 par la production de la preuve formelle exigée par l'article 266 bis de l'annexe III du CGI, les conditions de l'exonération prévue à l'article 1594-0 G du CGI n'étaient pas réunies. En conséquence, la société a été déboutée de ses demandes.


 

 

TL;DR

 

Cette décision est une nouvelle illustration de la rigueur avec laquelle le juge judiciaire interprète les conditions d'application de l'article 1594-0 G du CGI : le formalisme légal prime sur la réalité factuelle. Elle va dans le même sens que la décision de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 12 mars 2025, que nous avons évoqué il y a quelque semaines.

 

Si en matière d'exonération de DMTO liés à l'engagement de construire, la décision confirme que la preuve de l'achèvement des travaux doit être apportée par les documents expressément prévus par le CGI, en particulier la DAACT, il n'en est pas de même :

  • en matière de TVA : le Conseil d'État, dans sa décision du 14 avril 2022 (n° 457246), a confirmé qu'il est possible de retenir une autre date que celle du dépôt de la DAACT pour déterminer le point de départ du délai de cinq ans prévu à l'article 257 du CGI, au-delà duquel la vente d'un immeuble neuf échappe à la TVA
  • en matière de fiscalité locale : comme l'a rappelé le ministre (RM Annaïg Le Meur, JOAN du 2 mars 2021, question n°34828) la date d’achèvement des travaux, au sens fiscal, s’entend de la date à laquelle la construction est habitable (gros œuvres terminés, maçonneries, couverture et fermetures extérieures achevées, branchements effectifs), y compris lorsque des travaux accessoires (papiers peints, revêtement de sols…) restent à effectuer. Ainsi, un immeuble peut être considéré comme achevé par l’administration fiscale bien qu’aucune DAACT n’ait été déposée en mairie par le propriétaire.

 

Publié le vendredi 18 juillet 2025 par La rédaction

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