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Contrôle et contentieux

Acte anormal de gestion et cession d'actions : l'existence d'un engagement antérieur peut justifier un écart de prix significatif

Nouvelle décision relative à l'application de la théorie de l'acte anormal de gestion dans les opérations de cession d'actions à prix préférentiels. Elle confirme que l'existence d'un engagement antérieur peut justifier un écart de prix significatif, dès lors que cet engagement a été consenti dans l'intérêt propre de l'entreprise cédante.

 

La théorie de l'acte anormal de gestion, développée par la jurisprudence, constitue un instrument essentiel de lutte contre les opérations réalisées en dehors de l'intérêt social. Un acte anormal de gestion se caractérise par une opération qui procure un avantage injustifié à un tiers au détriment de l'entreprise, sans contrepartie équivalente. Lorsqu'un tel acte est identifié, l'avantage consenti est réintégré dans les bénéfices de l'entreprise et, le cas échéant, considéré comme une distribution au profit du bénéficiaire.

 

En matière de cession d'actifs à prix minoré, la jurisprudence a établi des règles de preuve spécifiques. L'administration doit démontrer que le prix de cession est significativement inférieur à la valeur vénale du bien. Une fois cette preuve apportée, il appartient au contribuable de justifier que l'appauvrissement qui en résulte a été décidé dans l'intérêt de l'entreprise, soit par nécessité, soit en contrepartie d'un avantage équivalent.

 

Rappel des faits :

L'espèce concerne une opération de cession d'actions réalisée dans le cadre du réseau de distribution "Les Mousquetaires". Mme C et M. A, adhérents de ce réseau, étaient propriétaires depuis 2002 de 66% du capital de la société E, société holding détenant 99,99% des titres de la société K qui exploitait un magasin franchisé de l'enseigne à Ecrouves. Les 34% restants du capital d'E étaient détenus par la société ITM.

Le montage mise en place en 2002 a été conçue pour permettre la reprise du point de vente par Mme C et M. A tout en préservant les intérêts du groupement Les Mousquetaires. ITM avait constitué avec les repreneurs une société de portage, E, dont elle détenait une minorité de blocage de 34%. Cette participation lui permettait de contrôler la gestion du point de vente et d'assurer le maintien de l'enseigne Intermarché.

En 2011, conformément à un engagement pris en 2002, ITM a cédé sa participation dans E à Mme C et M. A pour sa valeur nominale. Cette cession était prévue dès l'origine et devait intervenir après le remboursement intégral du compte courant d'associé d'ITM  et au plus tard le 1er octobre 2014.

Suite à une vérification de comptabilité d'ITM, l'administration fiscale a considéré que le prix de cession de ces actions s'écartait significativement de leur valeur vénale en 2011. Elle a regardé la différence correspondant à cet écart comme un revenu distribué à Mme C et M. A, imposable sur le fondement de l'article 109-1-1° du CGI. 

 

Le TA de Nancy a partiellement admis les demandes des contribuables en accordant un abattement de 20% pour non-liquidité des parts, mais a rejeté le surplus de leurs conclusions. La CAA de Nancy a confirmé cette position, conduisant les contribuables à se pourvoir en cassation.

 

Mme C et M. A se prévalent de l'existence d'un engagement antérieur justifiant le prix de cession. Ils soutiennent que l'engagement d'ITM de céder sa participation à la valeur nominale a été consenti dès 2002 en considération de contreparties substantielles :

  • l'avantage qu'ITM avait retiré de l'existence d'une minorité de blocage consentie par eux dans la société E,
  • et d'autre part dans leurs efforts pour maintenir et développer le point de vente exploité sous l'enseigne du groupement. 

Ils font également valoir que cette structure a été conçue pour répondre aux besoins du groupement Les Mousquetaires de maintenir le contrôle sur le point de vente d'Ecrouves et d'assurer sa pérennité sous l'enseigne Intermarché.

 

L'engagement de cession à prix fixe constituait ainsi la contrepartie de l'investissement et de l'implication des repreneurs dans le développement du magasin.

 

Enfin C et A contestent la méthode d'évaluation de l'administration, soutenant qu'il convenait d'apprécier la valeur vénale des titres non pas à la date de la cession en 2011, mais à la date de l'engagement initial en 2002. 

 

Le Conseil d'État a rendu une décision favorable à C et A, annulant l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy et prononçant la décharge des impositions litigieuses.

 

Il a d'abord validé la méthode d'évaluation de l'administration, confirmant que l'existence d'une promesse de vente n'a d'incidence que sur l'appréciation des justifications de la minoration de prix, et non sur l'évaluation de la valeur vénale des titres à la date de la cession. 

 

Pour autant, le Conseil d'Etat a rappelé que lorsque le contribuable fait valoir l'existence d'un engagement antérieur pour justifier le prix de cession, le caractère normal ou anormal de l'opération doit être apprécié au regard de l'intérêt de l'entreprise à contracter cet engagement à la date de sa souscription. Partant, il appartient au contribuable de démontrer :

  • soit que le prix fixé dans l'engagement n'était pas significativement inférieur à la valeur vénale future telle qu'elle pouvait être raisonnablement anticipée,
  • soit que l'entreprise trouvait un intérêt propre à consentir cet avantage de prix au regard des contreparties attendues.

Le Conseil d'État a considéré que les contribuables avaient apporté des éléments probants caractérisant l'existence d'un avantage pour ITM Est France consistant à s'assurer du maintien et du développement du point de vente d'Ecrouves sous l'enseigne Intermarché.

 

L'engagement de cession à prix fixe permettait ainsi à ITM de contrôler la gestion du point de vente et d'assurer l'implication des repreneurs dans son développement, éléments essentiels pour la préservation de ses intérêts commerciaux dans le réseau de distribution.

 

Le Conseil d'État a donc censuré l'arrêt de la CAA de Nancy pour inexacte qualification des faits.

 

Publié le vendredi 4 juillet 2025 par La rédaction

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