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Plus-values mobilières

Apport avec soulte avant 2017 et abus de droit fiscal : les contours de la justification économique

Nouvelle décision concernant l'application de la procédure d'abus de droit fiscal en matière d'apport avec soulte bénéficiant du report d'imposition de plus-value mobilière. Elle confirme que l'administration fiscale ne peut se contenter d'invoquer l'existence d'un avantage fiscal pour caractériser un abus de droit, mais doit démontrer l'absence totale de justification économique de l'opération contestée.

 

L'article 150-0 B ter du CGI institue un mécanisme de report d'imposition pour les plus-values d'apport de titres qui s'inscrit dans une logique de restructuration d'entreprise. Ce dispositif, applicable depuis le 14 novembre 2012, permet de différer l'imposition de la plus-value réalisée lors d'un apport de titres à une société soumise à l'IS, à condition que l'apporteur contrôle la société bénéficiaire au moment de l'apport.

 

S'agissant du traitement des soultes associées à l'opération d'apport, avant la LFR pour 2016, le report d'imposition s'appliquait à l'intégralité de l'opération, y compris à la soulte, à condition que celle-ci ne dépasse pas 10% de la valeur nominale des titres reçus en échange. Cette tolérance s'inscrivait dans l'objectif général du dispositif : faciliter les restructurations d'entreprises en vue de leur développement.

 

Cependant, cette possibilité de verser une soulte n'était pas sans limites. Le législateur a entendu que son usage respecte l'esprit du dispositif, c'est-à-dire qu'elle s'inscrive véritablement dans une logique de restructuration d'entreprise. Ainsi, une soulte ne pouvait être considérée comme légitime si elle étaituniquement motivée par la volonté de l'apporteur d'extraire, en franchise d'impôt, des liquidités de la société dont les titres sont apportés.

 

Un critère déterminant a été dégagé : l'existence d'un intérêt économique au versement de la soulte pour la société bénéficiaire de l'apport. Sans cet intérêt économique démontré, l'opération s'analyse comme un simple désinvestissement déguisé, détournant ainsi l'objectif du dispositif de report d'imposition.


 

Rappel des faits :

En l'espèce, M. B, associé unique et dirigeant de la société IF, a apporté la totalité de ses actions à une société de droit luxembourgeois, IFI, créée le même jour. En contrepartie de cet apport évalué à 40 M€, M. B a reçu 36,4 M€s en actions IFI et une soulte de 3,6 M€, inscrite au crédit de son compte courant d'associé. Le montant de cette soulte étant inférieur à 10 % de la valeur nominale des titres reçus, M. B a considéré que la plus-value réalisée, y compris la soulte, bénéficiait du régime du sursis d'imposition prévu par l'article 150-0 B ter du CGI.

Cependant, l'administration fiscale a remis en cause cette opération, qualifiant la stipulation de la soulte d'abus de droit. Elle a estimé que cette rémunération partielle de l'apport par une soulte visait uniquement à appréhender des liquidités en franchise immédiate d'impôt. En conséquence, l'administration a requalifié la soulte en revenus distribués au sens de l'article 120-3° du CGI, assujettissant M. et Mme B à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de prélèvements sociaux au titre de l'année 2012.

 

M. et Mme B ont contesté cette imposition devant le TA de Paris, qui a rejeté leur demande par un jugement du 6 juin 2023. Les contribuables ont alors fait appel devant la CAA de Paris.

 

Devant la cour, les époux B..

  • soutiennent qu'aucun abus de droit ne pouvait être caractérisé, estimant que la stipulation de la soulte poursuivait un objectif économique autre que fiscal
  • affirment que la soulte, liquide et mobilisable, visait à constituer une garantie supplémentaire auprès des établissements bancaires et des autorités de tutelle pour le développement international du groupe
  • soulignent que la somme en litige n'a pas fait l'objet d'une appréhension effective et immédiate, restant inscrite au crédit du compte courant d'associé de M. B.

La Cour administrative d'appel de Paris vient de donner raison aux requérants et d'annuler le jugement du tribunal administratif.

 

La cour a rappelé que le régime de l'article 150-0 B ter du CGI vise à favoriser les restructurations d'entreprises. Elle a précisé que si une soulte a pour seule finalité de permettre à l'apporteur d'appréhender des liquidités en franchise immédiate d'impôt, elle peut être constitutive d'un abus de droit.

 

Cependant, analysant les faits de l'espèce, la cour :

  • a estimé que les requérants avaient démontré l'existence d'un objectif autre que fiscal.

Elle a relevé que la soulte avait contribué à renforcer la garantie personnelle de M. B auprès d'organismes régulateurs luxembourgeois (la Commission de surveillance du secteur financier) et belges (la Banque nationale de Belgique), notamment dans le cadre de projets d'acquisition. Le fait que M. B n'ait pas immédiatement appréhendé les sommes et qu'il ait même accepté de les bloquer ultérieurement a conforté cette analyse

  • se prévaut du fait que les contribuables n'ont jamais effectivement appréhendé la somme correspondant à la soulte, celle-ci étant demeurée inscrite au crédit du compte courant d'associé. Elle relève qu'en dépit de l'absence de clause de blocage à la date du 31 décembre 2012, seuls deux prélèvements temporaires ont été effectués, tous deux remboursés dans des délais relativement courts.

En conséquence, la cour a jugé que la stipulation de la soulte poursuivait, au moins en partie, un objectif non fiscal, ce qui excluait la qualification d'abus de droit.

 

Partant, elle a déchargé les époux des impositions supplémentaires mises à leur charge au titre de l'année 2012.

Publié le vendredi 20 juin 2025 par La rédaction

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