Nouvelle décision en matière d'abus de droit fiscal qui confirme que la seule sophistication d'un montage ne suffit pas à caractériser un abus de droit fiscal s'il existe une justification économique réelle.
L'article L. 64 du LPF permet à l'administration d'écarter les actes qui ont un caractère fictif ou qui, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes contraire aux objectifs poursuivis par leurs auteurs, n'ont pour seul motif que d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales. La procédure implique la saisine du comité de l'abus de droit fiscal et, en cas d'avis favorable aux rectifications, maintient la charge de la preuve sur l'administration seulement si celle-ci ne se conforme pas à cet avis.
La notion d'abus de droit suppose la réunion de deux conditions cumulatives :
- l'existence d'un détournement de la loi fiscale et la recherche d'un but exclusivement fiscal.
Cette dernière condition implique que l'opération critiquée soit dépourvue de toute justification économique, commerciale ou patrimoniale autre que l'économie d'impôt.
Rappel des faits :
L'affaire met en scène un montage patrimonial orchestré par Monsieur C et impliquant onze SCI. Le schéma consiste en la cession à la société Holding C et Fils D (A) de l'usufruit temporaire des parts détenues en nue-propriété par les consorts C dans diverses SCI. Ces sociétés ont été constituées avec un capital modique sans actif immobilier initial, puis ont procédé à des augmentations de capital correspondant à la valeur des immeubles à acquérir.
La particularité du montage réside dans le fait que seule la société A, bénéficiaire des usufruits temporaires, disposait de la capacité financière pour libérer le capital souscrit lors des augmentations de capital, grâce à ses fonds propres et à sa meilleure capacité d'emprunt bancaire. Les nus-propriétaires, quant à eux, n'ont pas libéré le capital souscrit, créant ainsi une asymétrie dans le financement des acquisitions immobilières.
Ce dispositif a permis l'acquisition d'immeubles dont la location commerciale génère des revenus, tout en évitant que les nus-propriétaires soient directement imposés à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus fonciers, l'usufruit temporaire ayant pour effet de faire porter cette imposition sur la société usufruitière.
À la suite de vérifications de comptabilité portant sur les onze SCI et de la mise en œuvre de la procédure d'abus de droit fiscal, l'administration a assujetti Monsieur C à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales pour les années 2013 et 2014, représentant un montant de 1 761 255 €
Le tribunal administratif de Paris avait initialement rejeté la demande de décharge du contribuable, confortant ainsi la position de l'administration fiscale. Monsieur C a fait appel de cette décision en développant plusieurs moyens de défense.
- Le contribuable soutient, sur le fond, que l'acquisition d'usufruit temporaire constituait une opération de financement légitime et non un montage artificiel à but exclusivement fiscal.
- L'administration fiscale de son côté défend sa qualification d'abus de droit en se fondant sur l'existence d'un montage artificiel. Elle met en avant plusieurs éléments :
- la constitution de SCI au capital modique sans actif initial,
- le prix négligeable du démembrement temporaire,
- les augmentations de capital correspondant à la valeur des immeubles
- et la non-libération systématique du capital par les nus-propriétaires.
La Cour vient d'annuler le jugement de première instance
Il résulte de l’ensemble de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que le requérant est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Il est, dès lors, fondé à obtenir la décharge, en droits et pénalités, des impositions demeurant en litige.
- Sur le fond, la Cour a relevé que l'administration ne contestait pas que l'opération contribuait effectivement au financement de la constitution d'un patrimoine immobilier. La Cour a souligné que la société A avait réellement la capacité de libérer le capital grâce à ses fonds propres et à sa meilleure capacité d'emprunt, ce qui constitue une justification économique tangible.
La Cour a particulièrement insisté sur le fait que l'administration ne remettait pas en cause la réalité de l'opération de financement. Elle a considéré que cette opération ne constituait pas
une situation économique artificielle s'interposant entre les revenus générés et leur imposition
mais permettait l'acquisition effective d'immeubles générant des revenus réels par la location commerciale.
Concernant l'argument de l'administration selon lequel l'acquisition des usufruits temporaires serait dépourvue d'intérêt économique pour la société A, la Cour l'a écarté en estimant qu'il n'était pas de nature à établir l'existence d'un montage artificiel ou la recherche d'un but exclusivement fiscal.
Enfin, la Cour a reproché à l'administration de ne pas avoir démontré l'application abusive des dispositions fiscales invoquées (articles 8 et 238 bis K du CGI) en méconnaissance des objectifs poursuivis par le législateur.
6. Toutefois, d’une part, l’administration, qui n’écarte pas comme constitutif d’un abus de droit l’ensemble des actes constituant selon elle un montage artificiel mais seulement l’acte de cession des usufruits temporaires des parts des sociétés civiles immobilières, ne conteste pas que cette opération contribue au financement de la constitution d’un patrimoine immobilier permettant à terme aux consorts C de détenir la propriété d’immeubles sans supporter directement l’intégralité de leurs financements dès lors que la société A, à laquelle les usufruits temporaires ont été cédés, avait, seule, la capacité de libérer le capital souscrit lors de la constitution ou des augmentations de capital des sociétés, grâce à ses fonds propres ou à sa meilleure capacité d’emprunt bancaire.
D’autre part, l’administration ne remet pas davantage en cause la réalité de cette opération de financement par la société A, qui ne constitue pas une situation économique artificielle s’interposant entre les revenus générés et leur imposition, mais qui a permis, alors même que d’autres modalités de financement étaient envisageables, d’acquérir les immeubles dont la location commerciale effective génère les revenus en litige.
La circonstance tirée de ce que, en l’absence de libération du capital souscrit par les consorts C lors de la constitution ou des augmentations de capital des sociétés civiles immobilières, l’acquisition des usufruits temporaires, par la société A, serait dépourvue de tout intérêt économique pour cette dernière, qui pourrait être regardée comme s’étant appauvrie à des fins étrangères à son intérêt, n’est pas de nature à établir l’existence d’un montage artificiel au sens de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, ni la recherche d’un but exclusivement fiscal.
Enfin, l’administration considère que les articles 8 et 238 bis K du code général des impôts constituent les dispositions fiscales favorables dont les contribuables auraient recherché le bénéfice de l’application littérale à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs. Cependant, alors que le requérant conteste que ces dispositions puissent être, en l’espèce, regardées comme favorables, l’administration, qui se borne à invoquer l’existence d’un prétendu montage artificiel, ne fait valoir aucun élément de nature à justifier l’application abusive qui aurait été faite de ces dispositions, en méconnaissance des objectifs poursuivis par le législateur. Dans ces conditions, le requérant est fondé à soutenir que la cession à la société A de l’usufruit temporaire des parts des sociétés civiles immobilières, seul acte dont l’application est écartée par l’administration, ne caractérise pas un montage artificiel, dont le but exclusif est de contourner la législation fiscale, constitutif d’un abus de droit au sens de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales.
La frontière entre optimisation fiscale légitime et abus de droit reste ténue, et l'appréciation semble largement dépendre de l'existence d'une substance économique réelle.
Par ailleurs, la décision ne remet pas en cause le principe selon lequel des montages peuvent être requalifiés s'ils sont purement artificiels. Elle invite plutôt l'administration à mieux étayer ses démonstrations et à distinguer les véritables abus des opérations de financement légitimes.
TL;DR
- la seule sophistication d'un montage ne suffit pas à caractériser un abus de droit s'il existe une justification économique réelle. La Cour se base sur la réalité des flux économiques plutôt que la forme juridique adoptée.
- il ne suffit pas d'invoquer l'existence d'un montage complexe ; encore faut-il établir que les dispositions fiscales ont été détournées de leur objet et appliquées contrairement aux intentions du législateur.
- un montage patrimonial, même sophistiqué, peut résister à une requalification d'abus de droit s'il répond à des objectifs économiques réels et s'il génère des effets patrimoniaux tangibles.