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Contrôle et contentieux

De l'impossibilité d'invoquer le principe de confiance légitime en matière de récupération d'aides d'État

Nouvelle décision concernant le régime applicable à la récupération des aides d'État déclarées illégales par la Commission européenne, notamment concernant les délais de prescription, l'invocation du principe de confiance légitime et les conditions de contestation de la qualification d'aide d'État.

 

 

Pour mémoire, l'article 107 du TFUE pose le principe d'incompatibilité avec le marché intérieur des aides accordées par les États qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou productions. Le Règlement (UE) 2015/1589 du Conseil du 13 juillet 2015 portant modalités d'application de l'article 108 du TFUE, notamment son article 17 qui prévoit un délai de prescription de dix ans pour les pouvoirs de la Commission en matière de récupération des aides illégales, ainsi que son article 16 paragraphe 3 qui dispose que la récupération s'effectue conformément aux procédures prévues par le droit national.

 

Par ailleurs, la jurisprudence de la CJUE, en particulier la décision Nelson Antunes da Cunha Lda du 30 avril 2020 (aff. C-627/18), a précisé les conditions d'application du délai de prescription en matière de récupération d'aides d'État.

Enfin, l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, qui protège le droit de propriété, ainsi que les principes généraux du droit de l'Union européenne que sont la sécurité juridique et la confiance légitime, complètent ce cadre.

En droit interne, le dispositif contesté était l'article 44 septies du CGI qui prévoyait une exonération d'impôt sur les sociétés pour certaines entreprises reprenant des activités industrielles en difficulté. 

A l'issue d'une enquête approfondie commencée en août 2002, la Commission européenne a, le 17 décembre 2003, conclu que le régime fiscal spécial applicable en France pour la reprise des entreprises en difficulté en vertu de l'article 44 septiès du Code général des impôts n'était pas conforme aux règles du traité en matière ders aides d'Etat. Ce dispositif d’aide a été réaménagé dans le cadre de la LFR pour 2004 et validé le 1er juin 2005 par la Commission européenne. En définitive le dispositif a été abrogé par l'article 35 de la LF pour 2022.

Rappel des faits :

En 1999 et 2000, la société E-Pharma, devenue Creapharm Gannat, a bénéficié de l'exonération d'impôt sur les sociétés prévue par l'article 44 septies du CGI. Par une décision du 16 décembre 2003 (n° 2004/343/CE), la Commission européenne a déclaré que les exonérations prévues par ces dispositions, à l'exception de celles remplissant les conditions des aides de minimis, des aides à finalité régionale et des aides en faveur des PME, constituaient des aides d'État illégales et en a ordonné la récupération. La France n'ayant pas procédé à cette récupération dans les délais impartis, la Cour de justice des communautés européennes a constaté, par un arrêt du 13 novembre 2008 (C-214/07), le manquement de la France à ses obligations.

 

En 2005, la société Unither Industries a acquis la société Creapharm Gannat, qu'elle a ensuite absorbée en 2008.

 

Le 27 novembre 2009, l'administration fiscale a émis un premier titre de perception d'un montant de 2 862 511 € à l'encontre de la société Unither Industries pour obtenir la restitution de l'aide accordée à E-Pharma. Ce titre a été annulé le 11 mai 2010, après consultation de la Commission européenne qui avait alors estimé que la cession de Creapharm Gannat n'avait pu transmettre au cessionnaire le bénéfice de l'aide.

 

Le 26 janvier 2012, l'administration a émis un nouveau titre de perception pour un montant de 2 961 333 euros, sur le fondement d'une nouvelle analyse de la Commission selon laquelle Unither Industries devait être regardée comme bénéficiaire de l'aide. Après prise en compte des exceptions admises par la décision d'incompatibilité, le montant réclamé a été ramené à 819 339 euros, somme dont la société s'est acquittée le 21 mai 2012.

 

Le 1er juin 2017, la cour administrative d'appel de Douai a accordé à la société la décharge de cette obligation de paiement en raison d'un vice de forme affectant le titre de perception.

 

Le 6 octobre 2017, l'administration a émis un nouveau titre de perception, pour un montant ramené à 817 200 euros, et remboursé à la société le trop-versé.

 

La société Unither Industries a alors saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand pour obtenir la restitution de cette somme et, subsidiairement, la condamnation de l'État à lui verser une indemnité de 273 593 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'exécution tardive de la décision de la Commission. Après le rejet de sa demande en première instance puis en appel, la société s'est pourvue en cassation devant le Conseil d'État.

 

La société Unither Industries développait plusieurs moyens à l'appui de son pourvoi :

  • Concernant la régularité du titre de perception, elle soutenait avoir invoqué en première instance un moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH et du principe de confiance légitime, qui aurait dû être examiné par la cour administrative d'appel.
  • S'agissant de la prescription, elle invoquait l'expiration du délai de prescription de dix ans prévu par l'article 17 du règlement (UE) 2015/1589 pour contester la validité du titre de perception émis en 2017.
  • Sur le fond, la société se prévalait des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, ainsi que du droit au respect de ses biens, en soutenant qu'elle avait pu légitimement croire, à la suite de la décision de l'administration de 2010, qu'elle ne serait pas considérée comme bénéficiaire de l'aide accordée à Creapharm Gannat.
  • Enfin, elle contestait la qualification même d'aide d'État attribuée par la Commission européenne à l'exonération prévue par l'article 44 septies du CGI, en soutenant que cette mesure n'avait pas de caractère sélectif et était justifiée par la nature ou l'économie générale du système fiscal français.

 

Le Conseil d'État a rejeté l'ensemble des moyens soulevés par la société requérante :

 

Concernant la régularité du titre de perception

Le Conseil d'État a relevé que si la société avait bien invoqué en première instance un moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH et du principe de confiance légitime, ce moyen portait sur le bien-fondé de la créance et non sur la régularité du titre de perception ou de la procédure d'émission.

Partant, la haute juridiction estime que la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en écartant le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, qui reposait sur une cause juridique distincte.

 

Concernant la prescription

Le Conseil d'État a substitué son propre motif à celui de la cour, en s'appuyant sur la jurisprudence de la CJUE (Nelson Antunes da Cunha, 30 avril 2020). Il a précisé que le délai de prescription de dix ans prévu par l'article 17 du règlement (UE) 2015/1589 s'applique uniquement aux rapports entre la Commission et l'État membre, et non à la procédure de récupération par les autorités nationales, qui s'effectue conformément aux procédures prévues par le droit national. Le principe d'effectivité du droit de l'Union s'oppose à l'application du délai de prescription national lorsque ce délai a expiré avant l'adoption de la décision de la Commission ou lorsque son expiration résulte principalement du retard des autorités nationales dans l'exécution de cette décision.

 

Concernant les principes de sécurité juridique, de confiance légitime et le respect du droit de propriété

Le Conseil d'État a également substitué son propre motif à celui de la cour, en considérant que la société requérante ne pouvait fonder d'espérance légitime sur les assurances erronées qui lui avaient été données en 2010, postérieurement à l'acquisition de l'entreprise bénéficiaire de l'aide, ni invoquer de confiance légitime en ces assurances.

 

7. La société requérante soutient que la cour administrative d'appel de Lyon a insuffisamment motivé son arrêt et commis une erreur de droit en écartant comme inopérants les moyens tirés de la méconnaissance des principes de sécurité juridique et de confiance légitime ainsi que de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au motif que les autorités françaises étaient tenues de récupérer les aides illégalement attribuées auprès des bénéficiaires, alors qu'elle ne se prévalait pas d'une confiance légitime dans la régularité de l'aide, mais dans la décision, prise en 2010 par l'administration, après avoir consulté la Commission européenne, de ne pas la regarder comme bénéficiaire de l'aide accordée à la société Creapharm Gannat qu'elle a acquise en 2005 puis absorbée en 2008, ainsi que de l'espérance légitime née de cette décision, et qu'elle invoquait des circonstances exceptionnelles, qui lui permettaient de se prévaloir de ces principes à l'encontre d'une mesure de récupération d'une aide déclarée illégale.

8. Toutefois, la société requérante ne pouvait fonder d'espérance légitime sur les assurances erronées ayant motivé la décision du 11 mai 2010, qui ne lui avaient été données qu'après l'acquisition de l'entreprise bénéficiaire de l'aide, ni invoquer de confiance légitime en ces assurances. Ce motif, qui répond aux moyens invoqués devant la cour et repose sur des faits constants, doit être substitué à ceux qu'a retenus la cour administrative d'appel au point 7 de l'arrêt attaqué, dont il justifie sur ce point le dispositif. Il en résulte que le moyen du pourvoi dirigé contre ces motifs doit être écarté comme inopérant

 

Concernant la qualification d'aide d'État

Le Conseil d'État a validé l'analyse de la cour administrative d'appel concernant le caractère sélectif de l'exonération prévue par l'article 44 septies du CGI, qui ne visait que les sociétés nouvellement créées pour reprendre l'activité industrielle d'entreprises en difficulté dans certaines conditions. Il a considéré comme surabondant le motif selon lequel l'aide ne concernait "dans les faits et à titre quasi exclusif" que les seules entreprises du secteur industriel.

 

Enfin, il a jugé que le fait que l'analyse de la Commission n'ait porté que sur une partie du champ de l'aide était sans incidence sur la validité de son raisonnement.

 

Le Conseil d'Etat restreint ainsi la possibilité d'invoquer le principe de confiance légitime en matière de récupération d'aides d'État.

En l'espèce, le Conseil d'État a jugé que des assurances données après l'acquisition de l'entreprise bénéficiaire de l'aide, même si elles émanaient de l'administration après consultation de la Commission, ne pouvaient fonder une espérance légitime. 

 

On peut faire un parallèle avec la décision du Conseil d'Etat du 16 mars 2016 (Arrêt SAS Rapa)  Dans cette décision, La haute juridiction administrative a rejeté le pourvoi de la SAS Rapa qui contestait une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés résultant de la remise en cause de son exonération fiscale. La société, constituée en 2003 pour reprendre une entreprise en redressement judiciaire, s'était prévalue du bénéfice de l'article 44 septies du CGI prévoyant une exonération d'IS pour les reprises d'entreprises en difficulté. Or, la Commission européenne avait déclaré ce dispositif incompatible avec le marché commun (aide d'État illégale) le 16 décembre 2003, entraînant une modification législative applicable rétroactivement aux exercices clos à partir de cette date. Le Conseil d'État a confirmé que les autorités nationales étaient tenues de récupérer les aides illégalement octroyées et que la société ne pouvait se prévaloir ni du principe de confiance légitime, ni de la méconnaissance d'une espérance légitime (moyen nouveau en cassation), ni de la violation du principe de sécurité juridique pour s'opposer à cette récupération. 

 

Le commentaire d'Antoine Colonna d'Istria sur l'arrêt du Conseil d'État Rapa que nous avions publié sur notre plateforme  trouve aujourd'hui un écho particulier dans l'arrêt Unither Industries du 7 mai 2025.

 

Il soulevait effectivement plusieurs points important concernant les recours disponibles pour les contribuables confrontés à la récupération d'aides d'État illégales, notamment la difficile invocation du principe de confiance légitime en droit interne français.

 

Sa distinction entre les situations directement régies par le droit communautaire (comme la TVA) et celles qui ne le sont pas est particulièrement judicieuse. Le Conseil d'État, dans l'arrêt Unither Industries, confirme exactement cette approche en refusant de faire application du principe de confiance légitime, même lorsque l'administration avait initialement donné des assurances contraires au contribuable après consultation de la Commission européenne.

 

Maître Colonna d'Istria soulèvait également une question intéressante : peut-on invoquer la confiance légitime sur la base d'un acte illégal ? Cette interrogation trouve sa réponse dans la jurisprudence constante de la CJUE et dans l'arrêt Unither Industries où le Conseil d'État rappelle implicitement qu'un opérateur économique diligent doit s'assurer de la régularité des aides dont il bénéficie, notamment en vérifiant leur notification et leur approbation par la Commission.

 

Concernant l'invocation de "l'espérance légitime" protégée par la CEDH et son premier protocole additionnel, l'arrêt Unither Industries apporte une clarification importante : le Conseil d'État considère que même si cet argument est recevable sur le fond (contrairement à l'affaire Rapa où il avait été rejeté pour des raisons procédurales), une société ne peut fonder d'espérance légitime sur des assurances erronées données après l'acquisition de l'entreprise bénéficiaire de l'aide.

 

La piste de la responsabilité de l'État évoquée par l'auteur reste intéressante mais n'a pas été abordée dans l'arrêt Unither Industries, bien que la société avait formulé une demande subsidiaire d'indemnisation pour le préjudice subi du fait de l'exécution tardive de la décision de la Commission.

 

La conclusion de l'auteur sur "l'ingérence grandissante de la Commission" et la nécessité que les juridictions se prononcent sur ces moyens reste d'actualité. L'arrêt Unither Industries de 2025 montre que neuf ans après l'arrêt Rapa, les juridictions françaises continuent d'appliquer strictement les règles de récupération des aides illégales, privilégiant l'effectivité du droit de l'Union européenne au détriment de la protection des attentes légitimes des contribuables.

 

En définitive, Maître Colonna d'Istria identifiait avec justesse les principales questions juridiques en jeu dans ce type de contentieux, questions qui demeurent largement irrésolues en faveur des contribuables près d'une décennie plus tard, comme le confirme l'arrêt Unither Industries.

 

Publié le vendredi 9 mai 2025 par La rédaction

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