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Plus-values professionnelles

Plus-value sur fonds de commerce et nu-propriétaire non-résident : la qualification d'actif professionnel, clé de l'imposition en France

Cette décision s'inscrit dans le contentieux fourni de l'articulation entre les règles d'imposition françaises et les conventions fiscales internationales, particulièrement lorsqu'un contribuable non-résident réalise, (en qualité de nu-propriétaire) une plus-value sur un fonds de commerce situé en France. L'affaire soulève, notamment, la question de savoir si le caractère professionnel du bien transmis prime sur la résidence fiscale du contribuable étranger.

 

Aux termes de l’article 164 A du CGI...

...les revenus de source française des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal en France sont déterminés selon les règles applicables aux revenus de même nature perçus par les personnes qui ont leur domicile fiscal en France.

 

L’article 164 B-I-c du CGI précise que, parmi ces revenus de source française, figurent notamment :

 les revenus d’exploitations sises en France 

 

En outre, Le Conseil d’Etat a posé le principe selon lequel les droits indivis que détient un conjoint, ou son héritier, sur la valeur d’un actif affecté à l’exercice de la profession de l’autre conjoint, ont toujours, du point de vue fiscal, le caractère d’un élément du patrimoine professionnel, même dans le cas où ce conjoint ou son héritier, non titulaire des titres ou diplômes requis, ne peut lui-même participer à cette activité professionnelle. (CE 3 septembre 1997 n° 133408 et CE 11 février 1998 n° 160165) .

 

Cette jurisprudence désormais constante rappelle que les droits indivis détenus par un héritier sur un actif professionnel, même s’il ne participe pas directement à l’exploitation, constituent, aux yeux du droit fiscal français, un élément de patrimoine professionnel.

 

Partant, la cession d’une quote-part indivise dans un fonds de commerce s’assimile à une cession de bien professionnel, soumise au régime des plus-values professionnelles

 

 

Rappelons par ailleurs que si une convention peut conduire à écarter l’application d’une disposition interne en matière d’imposition dès lors que les stipulations conventionnelles prévoient une répartition différente des droits d’imposition entre États contractants, il incombe d’abord au juge d’apprécier la légalité de l’imposition sur le fondement de la loi nationale : si, selon la loi interne, le contribuable est imposable, il faut ensuite vérifier si la convention va modifier cette conclusion.

 

La convention franco-australienne du 20 juin 2006, comme la plupart des conventions fiscales bilatérales, organise la répartition du pouvoir d'imposer entre les États contractants selon différents critères, notamment la nature des revenus et la résidence du contribuable. Cette convention prévoit ainsi des règles spécifiques pour les bénéfices d'entreprise (article 7) et les gains en capital (article 13).

 

Rappel des faits :

Madame A, épouse C, résidente fiscale australienne, a hérité en 1989 de son père de droits indivis sur un fonds de commerce de camping situé à Fréjus, représentant 18,75 % de la nue-propriété. L'exploitation du camping a été poursuivie par les autres coindivisaires après le décès du père de famille.

Le 11 mars 2013, le fonds de commerce a été cédé, générant une plus-value imposable. L'administration fiscale française, par une proposition de rectification du 31 octobre 2016, a assujetti la contribuable, à hauteur de sa quote-part, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de prélèvements sociaux, pour un montant total de 265 044 €. 

Après le rejet de sa réclamation contentieuse par l'administration le 2 juillet 2019, Madame A a saisi le tribunal administratif de Montreuil d'une demande de décharge totale des cotisations supplémentaires. Par jugement du 23 mai 2023, le tribunal a rejeté sa demande, conduisant la contribuable à faire appel devant la Cour administrative d'appel de Paris.

 

Madame A :

  • soutient que sa qualité de résidente fiscale australienne devait conduire à l'imposition de la plus-value en Australie, en application du paragraphe 6 de l'article 13 de la convention bilatérale franco-australienne. Selon cette disposition, les gains en capital provenant de l'aliénation de biens autres que ceux visés aux paragraphes précédents ne sont imposables que dans l'État contractant dont le cédant est résident.
  • À titre subsidiaire, revendique le bénéfice du prélèvement forfaitaire unique de 12,8 % institué par la loi de finances pour 2018, sans toutefois préciser les fondements juridiques de cette prétention.

L'administration fiscale, de son côté, conteste la pertinence de ces arguments, soutenant que l'imposition était valablement établie selon le droit fiscal français et que la convention franco-australienne ne faisait pas obstacle à cette imposition, compte tenu de la nature professionnelle des droits détenus par la contribuable.

 

La Cour a rejeté la demande de Mme C

 

La Cour rappelle d'abord la méthodologie à suivre pour l'application des conventions fiscales internationales. Elle souligne qu'une convention bilatérale ne peut pas directement servir de base légale à une décision d'imposition, mais peut conduire à écarter l'application de la loi fiscale nationale. Le juge doit donc procéder en deux temps : d'abord vérifier si l'imposition est valablement établie selon la loi fiscale française, puis examiner si la convention fait obstacle à cette application.

 

Concernant la qualification des droits détenus :

La Cour a procèdé à une analyse de la nature juridique des droits détenus par la contribuable. Elle a rappelé un principe fondamental de notre droit fiscal (issue de la jurisprudence du Conseil d'Etat exposée ci-avant) selon lequel les droits indivis détenus par un héritier sur des actifs affectés à une activité professionnelle exercée par un autre cohéritier conservent leur caractère d'élément de patrimoine professionnel, même lorsque l'héritier ne participe pas personnellement à l'activité.

 

Cette qualification est déterminante car elle conduit à soumettre la plus-value au régime des plus-values professionnelles et, partant, à considérer qu'elle constitue un revenu de source française au sens de l'article 164 B du CGI.

 

Pour la Cour, quoiqu’ils soient en nue-propriété, les droits indivis de Mme C portaient sur un fonds de commerce exploité en France, ce qui relève du régime des « revenus d’exploitations ». Dès lors, la plus-value résultant de la cession constitue un revenu professionnel imposable en France, indépendamment de la résidence fiscale australienne

 

Concernant l'application de la convention fiscale franco-australienne

Mme A invoquait le paragraphe l'article 13-§6, qui réserve l'imposition des gains en capital non spécifiquement visés ailleurs à l'État de résidence. Cependant, la Cour a écarté cet argument en se fondant sur une autre qualification du revenu au regard de la convention.

Elle a estimé que les droits indivis sur le camping constituaient un actif professionnel dont la cession avait généré des "bénéfices d'entreprise" au sens de l'article 7 de la convention. Cet article dispose que les bénéfices d'une entreprise d'un État contractant ne sont imposables que dans cet État, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre État par l'intermédiaire d'un établissement stable. Si tel est le cas, les bénéfices sont imposables dans l'autre État dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable.

La Cour a considéré que l'entreprise (le camping) étant exploitée en France, la plus-value générée par sa cession était imposable en France sur le fondement de cet article 7. La qualification de "bénéfices d'entreprise" a donc primé sur celle, plus générale, de "gains en capital" du paragraphe 6 de l'article 13, rendant ce dernier inapplicable.

 

TL;DR

 

La Cour confirme que la quote-part indivise dans un fonds de commerce, même en nue-propriété, constitue un « élément d’actif professionnel » et non un simple « bien ». En conséquence, la cession de ces droits indivis relève, du point de vue fiscal français, du régime des plus-values professionnelles, au titre des revenus d’exploitation de source française (CGI, art. 164 B).

 

Publié le lundi 2 juin 2025 par La rédaction

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