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Plus-values immobilières

Plus-value immobilière des non résidents et détention indirecte : quand la convention fiscale fait échec au prélèvement 244 bis A du CGI

Le juge de l'impôt offre une voie de recours pour contester des impositions fondées sur l'article 244 bis A du CGI dans des configurations de détention indirecte, à condition que la convention fiscale applicable ne contienne pas de clause spécifique visant explicitement ces situations.

 

Notre droit fiscal, par l'article 244 bis A du CGI, soumet à un prélèvement spécifique les plus-values réalisées par des personnes morales ou organismes, quel qu'en soit la forme, dont le siège social est situé hors de France, lors de la cession de parts, d'actions ou d'autres droits qu'elles détiennent dans des sociétés ou organismes non cotés dont l'actif est, à la clôture des trois exercices précédant la cession, principalement constitué directement ou indirectement de biens immobiliers ou de droits portant sur ces biens. Cette disposition vise à appréhender en France les plus-values liées à des actifs immobiliers français, même lorsque la cession porte sur les titres de la société détenant ces biens.

 

Toutefois, cette règle nationale doit s'articuler avec les conventions fiscales internationales signées par la France, dont la convention fiscale franco-néerlandaise du 16 mars 1973. Les conventions bilatérales ont pour objectif d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale, et leur article 55 de la Constitution leur confère une autorité supérieure à la loi nationale. En l'espèce, l'article 13 de cette convention est au coeur du débat. Son paragraphe 1 attribue le droit d'imposer à l'État de situation des biens les gains provenant de l'aliénation : 1) de biens immobiliers, ou 2) de parts ou droits analogues dans une société dont l'actif est composé principalement de biens immobiliers. Le paragraphe 4 de cet article prévoit une règle résiduelle : les gains non visés par les paragraphes précédents ne sont imposables que dans l'État de résidence du cédant.

Article 13 Gains en capital

1. Les gains provenant de l'aliénation des biens immobiliers, tels qu'ils sont définis au paragraphe 2 de l'article 6, ainsi que les gains provenant de l'aliénation de parts ou de droits analogues dans une société dont l'actif est composé principalement de biens immobiliers sont imposables dans l'Etat où ces biens sont situés.

2. Les gains provenant de l'aliénation de biens mobiliers faisant partie de l'actif d'un établissement stable qu'une entreprise de l'un des Etats a dans l'autre Etat, ou de biens mobiliers constitutifs d'une base fixe dont dispose un résident de l'un des Etats dans l'autre Etat pour l'exercice d'une profession libérale, y compris de tels gains provenant de l'aliénation globale de cet établissement stable (seul ou avec l'ensemble de l'entreprise) ou de cette base fixe, sont imposables dans cet autre Etat.

3. Par dérogation à la disposition du paragraphe 2 : a) Les gains qu'un résident de l'un des Etats tire de l'aliénation de navires ou d'aéronefs exploités en trafic international et de bateaux servant à la navigation intérieure, ainsi que de biens mobiliers affectés à l'exploitation de tels navires, aéronefs et bateaux, ne sont imposables que dans cet Etat ; b) Nonobstant la disposition de l'alinéa a, les gains susvisés peuvent aussi être imposés dans l'autre Etat, si le siège de la direction effective de l'entreprise est situé dans cet autre Etat.

4. Les gains provenant de l'aliénation de tous biens autres que ceux qui sont mentionnés aux paragraphes précédents ne sont imposables que dans l'Etat dont le cédant est un résident. 

 

Le protocole final de la convention, au II - Ad article 6, précise que la France se réserve le droit de considérer comme biens immobiliers les droits sociaux possédés par les associés de sociétés ayant pour objet unique la construction, l'acquisition ou la gestion d'immeubles divisés par fractions destinées à être attribuées. Enfin, l'article 3, paragraphe 2, et l'article 6, paragraphe 2, de la convention prévoient que les expressions non définies par la convention se réfèrent au droit interne de l'État qui applique la convention, sauf si le contexte exige une interprétation différente.

 

Rappel des faits :

La société Athena MidCo B.V., de droit néerlandais, détenait l'intégralité du capital social de la société française Athena HoldCo I SARL. Cette dernière possédait à hauteur de 99,99 % les parts de la société en nom collectif Athena PropCo, elle-même propriétaire d'un ensemble immobilier situé à Paris.
Par acte du 9 août 2019, complété par un acte d'ajustement du prix du 21 juin 2023, la société néerlandaise a cédé l'intégralité de sa participation dans la société française. Cette opération a généré une plus-value substantielle que l'administration fiscale française a soumise au prélèvement prévu à l'article 244 bis A du CGI, considérant que la cession portait sur des parts d'une société à prépondérance immobilière.
La société Athena MidCo B.V. a contesté cette imposition, arguant que la plus-value ne relevait pas du paragraphe 1 de l'article 13 de la convention franco-néerlandaise, mais de son paragraphe 4, qui attribue l'imposition exclusive à l'État de résidence du cédant (les Pays-Bas).


 

La société néerlandaise soutenait que la plus-value litigieuse ne relevait pas l'article 13-§1 de la convention, qui autoriserait l'imposition française, mais du paragraphe 4 qui réserve l'imposition à l'État de résidence du cédant, en l'occurrence les Pays-Bas. A cet effet, la société...

  • ...se référait d'abord au texte même du paragraphe 1 de l'article 13, arguant que celui-ci devait être interprété restrictivement.
  • ...citait ensuite les commentaires au modèle de convention OCDE, documents de référence pour l'interprétation des conventions fiscales bilatérales.
  • ...invoquait également la portée du protocole à la convention franco-néerlandaise et la position des Pays-Bas sur l'article 9 de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures BEPS.

L'administration fiscale française de son côté soutenait que l'article 244 bis A du CGI était parfaitement applicable en l'espèce, la cession portant sur des parts d'une société dont l'actif était principalement constitué, indirectement, de biens immobiliers français. Selon cette logique, la fiction légale française assimilant ces parts à des biens immobiliers devait prévaloir pour l'application de la convention fiscale.

 

Le Tribunal vient de faire droit à la demande de la société Athena MidCo B.V.

 

Le Tribunal administratif de Montreuil a d'abord rappelé le principe selon lequel le juge de l'impôt doit d'abord vérifier la validité de l'imposition au regard de la loi fiscale nationale avant d'examiner si la convention internationale y fait obstacle.

 

En effet, une convention bilatérale ne peut pas directement servir de base légale à une décision d'imposition, mais qu'elle peut conduire à écarter l'application de la loi fiscale nationale. Le juge doit donc procéder en deux temps : vérifier d'abord si l'imposition est valablement établie au regard du droit interne, puis examiner si la convention fiscale fait obstacle à cette imposition.

  • Application de la loi fiscale française : Le Tribunal a confirmé que l'administration était bien fondée, au regard de l'article 244 bis A du CGI, à imposer la plus-value litigieuse. Il a expressément reconnu que la cession portait sur des titres d'une société non cotée dont l'actif était principalement constitué indirectement de biens immobiliers situés en France. Sur ce point, la conformité de l'imposition à la loi interne était avérée.

  • Application de la convention fiscale franco-néerlandaise : C'est ici que l'analyse du tribunal a divergé de la position de l'administration.

    • Distinction entre biens immobiliers et parts de SPI : Le Tribunal a souligné que le § 1 de l'article 13 de la convention prévoit deux hypothèses distinctes : l'aliénation de biens immobiliers et l'aliénation de parts de SPI. En se référant aux commentaires du modèle de convention de l'OCDE (1963, 1977, 2000), le juge a précisé que la convention n'entendait pas assimiler l'aliénation de parts de sociétés à prépondérance immobilière à l'aliénation de biens immobiliers eux-mêmes. Cela signifie que l'assimilation opérée par l'article 244 bis A du CGI n'est pas directement transposable au premier volet du § 1 de l'article 13 de la convention.

    • Notion de détention "indirecte" : l'élément déterminant de la décision réside dans l'interprétation de la seconde branche du § 1 de l'article 13, qui vise les gains provenant de l'aliénation de parts de sociétés dont l'actif est composé principalement de biens immobiliers. Le Tribunal a jugé que ces stipulations devaient être interprétées comme limitant l'imposition dans l'État de situation des biens à l'hypothèse où l'actif est directement constitué de biens immobiliers. L'absence de toute mention sur le caractère "indirect" de la détention dans le texte conventionnel conduit le juge à ne pas l'appliquer. Le protocole final, quant à lui, a été jugé sans incidence, car il concerne spécifiquement les sociétés de l'article 1655 ter du CGI, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.

Autrement dit, le tribunal a estimé que le § 1 de l'article 13 devait être interprété comme limitant l'imposition dans l'État de situation des biens à l'hypothèse où l'actif de la société est directement constitué de biens immobiliers. En l'absence de précision sur le caractère indirect de la détention, la convention ne couvrirait pas le cas d'espèce où les biens immobiliers étaient détenus indirectement via une société intermédiaire.

 

Cette interprétation, fondée sur les commentaires OCDE des modèles de convention de 1963, 1977 et 2000, a conduit le tribunal à considérer que la plus-value relevait du § 4 de l'article 13, réservant l'imposition à l'État de résidence du cédant.


 

Publié le vendredi 18 juillet 2025 par La rédaction

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