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Droits de mutation

Assurance-vie démembrée et quasi-usufruit : absence d’exagération manifeste des primes et obligation fiscale du nu-propriétaire

Le juge de l'impôt nous rappelle les difficultés pratiques que peut susciter l'articulation entre le droit des assurances, le droit civil et la fiscalité, particulièrement lorsqu'intervient un démembrement de la clause bénéficiaire d'un contrat d'assurance vie. 

 

Pour mémoire, l'article L. 132-13 du Code des assurances pose le principe selon lequel les capitaux versés au décès de l'assuré échappent aux règles du rapport successoral, sauf si les primes versées ont été manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur.

 

Par ailleurs, la possibilité de démembrer la clause bénéficiaire, en désignant un usufruitier et des nus-propriétaires, permet d'optimiser la transmission patrimoniale en combinant les avantages de l'assurance vie et ceux du démembrement de propriété. Toutefois, cette technique soulève des questions complexes tant au niveau civil que fiscal.

 

Enfin, l'article 990 I du CGI, introduit pour soumettre les contrats d'assurance vie à un prélèvement forfaitaire, impose aux bénéficiaires de produire une attestation sur l'honneur permettant à l'assureur de calculer la taxe due. En cas de démembrement, cette obligation pèse sur l'ensemble des bénéficiaires au prorata de leurs droits respectifs.

 

Rappel des faits :

Madame GD, âgée de 69 ans, a souscrit en mars 2017 un contrat d'assurance vie auprès de BPCE Vie, alimenté par un versement unique de 100 000 € provenant d'une succession. Après avoir initialement désigné ses enfants comme bénéficiaires, elle a modifié la clause en mai 2017 pour attribuer l'usufruit à son conjoint M.OE et la nue-propriété à ses deux enfants WE et VE.

 

Le décès de la souscriptrice en 2018 a déclenché le mécanisme de versement du capital décès. Cependant, la société d'assurance, BPCE VIE, a bloqué le versement des fonds en l'absence de l'attestation sur l'honneur de Monsieur WE ( requise par l'article 990 I du CGI), le fils nu-propriétaire. Ce dernier a refusé de fournir ladite attestation fiscale, arguant que les primes versées étaient manifestement exagérées et devaient être réintégrées à la succession, et, à titre subsidiaire, qu'une convention de quasi-usufruit devait être établie par acte authentique.

 

Cette situation a généré un conflit triangulaire opposant l'usufruitier demandeur du versement, le nu-propriétaire récalcitrant et l'assureur soucieux de se dégager de toute responsabilité.

 

Le conjoint usufruitier, M. OE, et l’autre enfant, Mme VE, ont donc saisi le tribunal pour contraindre M.WE à produire l’attestation, obtenir le versement du capital et des intérêts, et le condamner pour résistance abusive. De son côté, BPCE Vie sollicite la confirmation que le paiement n’interviendra qu’après réception de l’attestation et, subsidiairement, la garantie du nu-propriétaire en cas de condamnation aux intérêts.

 

Monsieur WE a soulevé plusieurs moyens pour justifier son refus :

  • Il a d'abord soutenu le caractère manifestement exagéré des primes, en se basant sur l'âge avancé de sa mère, son état de santé (cancer connu depuis 2015), et la modestie des revenus du couple.
  • Il a également affirmé que les fonds provenaient d'une succession et que leur versement sur un contrat d'assurance-vie, peu avant le décès, constituait une manœuvre pour contourner les règles successorales.
  • À titre subsidiaire, il a exigé l'établissement d'une convention de quasi-usufruit pour garantir la créance de restitution.

Les demandeurs, M. OE et Mme VE, ont réfuté ces arguments

  • Ils ont contesté le caractère exagéré des primes, soulignant que les époux avaient un train de vie modeste mais sans difficultés financières, et que l'état de santé de la défunte n'était pas un pronostic vital engagé au moment de la souscription du contrat.
  • Ils ont également précisé que la défunte avait appris le caractère incurable de sa maladie bien après la souscription et la modification de la clause bénéficiaire.
  • Ils ont par ailleurs rappelé que la clause bénéficiaire démembrée du contrat ne rendait pas obligatoire la mise en place d'une convention de quasi-usufruit, mais le recommandait simplement pour l'opposabilité fiscale.

 

Le Tribunal vient de faire droit aux demandeurs, M. OE et Mme VE

 

Concernant le caractère manifestement exagéré des primes
Ce caractère s’apprécie au moment du versement, indépendamment de l’atteinte à la réserve héréditaire.

 

Le juge a relevé que si Madame GD était effectivement atteinte d'un cancer depuis 2015, il n'était pas établi que son pronostic vital était engagé lors de la souscription du contrat en mars 2017. La découverte de métastases n'est intervenue qu'entre septembre et octobre 2018, soit plus d'un an après la souscription. Pour le juge, cette chronologie était déterminante pour écarter l'argument selon lequel la souscriptrice aurait agi en connaissance d'une issue fatale imminente.

 

S'agissant de la situation patrimoniale, le tribunal a constaté que les époux disposaient de revenus réguliers d'environ 2 150 € mensuels, sans charges de loyer et avec un crédit immobilier parfaitement assumé. Le fait que les fonds investis provenaient d'une succession et que la souscriptrice conservait la possibilité d'effectuer des rachats partiels démontrait l'utilité économique du placement.

 

Puisque pour lui aucune exagération manifeste n’était démontrée, le juge a rejeté la demande de réintégration.

 

Concernant la convention de quasi-usufruit

WE soutenait que l'établissement d'un tel acte était obligatoire pour satisfaire aux exigences fiscales et assurer la conservation de la substance du capital.

Le tribunal a analysé la clause bénéficiaire rédigée par la défunte, qui prévoyait déjà l'ensemble des modalités du quasi-usufruit. Cette clause détaillait notamment les obligations respectives de l'usufruitier et des nus-propriétaires, les dispenses d'inventaire et de caution, ainsi que la répartition des charges fiscales. Pour le juge exiger une convention supplémentaire reviendrait à...

...anéantir la clause de démembrement rédigée par Madame E.

En définitive, il a considéré que les conditions d'attribution du capital décès étaient "parfaitement décrites" dans la clause initiale. Exiger une convention de quasi-usufruit reviendrait à priver d’effet la volonté exprimée dans la clause.

 

Concernant l'attestation de l'article 990 I CGI
Le cœur du litige portait sur l'application de l'article 990 I du CGI, qui impose aux bénéficiaires de produire une attestation sur l'honneur indiquant les abattements déjà utilisés. En pratique, l'assureur ne peut procéder au versement du capital sans disposer de cette attestation pour calculer le prélèvement forfaitaire dû (Sans ce document, le versement du capital est bloqué).
Le tribunal a rappelé que cette obligation pèse sur tous les bénéficiaires en cas de démembrement, au prorata de leurs droits respectifs. Autrement dit, le nu-propriétaire était légalement tenu de produire cette attestation.

Le Tribunal a souligné que l'assureur ne pouvait être tenu pour responsable du retard dans le versement du capital dès lors qu'il ne disposait pas des pièces nécessaires au calcul de la taxe. Le tribunal a donc ordonné à WE de fournir l’attestation, sous astreinte. BPCE Vie devra payer le capital à l’usufruitier dans le mois suivant réception de l’attestation.

 

TL;DR

  • La preuve du caractère manifestement exagéré des primes incombe à celui qui en allègue l’existence et doit être rapportée in concreto, au jour du versement, en tenant compte de l’utilité économique du contrat pour le souscripteur.

  • La clause bénéficiaire démembrée, bien rédigée, peut dispenser l’usufruitier des formalités de caution, inventaire ou emploi, et l’établissement d’un acte notarié de quasi-usufruit n’est pas imposé par la loi, sauf stipulation contractuelle expresse.

  • L’article 990 I CGI impose la production d’une attestation par chaque bénéficiaire, y compris le nu-propriétaire, condition sine qua non du déblocage des fonds par l’assureur.

Publié le lundi 11 août 2025 par La rédaction

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