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Droits de mutation

De la requalification d'un contrat d'assurance-vie placé dans un trust irrévocable et discrétionnaire en donation indirecte

Cette décision qui s'inscrit dans une jurisprudence vigilante face aux montages fiscaux transfrontaliers utilisant des trusts étrangers nous rappelle que l'administration fiscale dispose d'outils efficaces pour appréhender ces structures, notamment par le biais de la requalification en donation indirecte.

 

La taxation des donations indirectes repose sur les articles 750 ter et 784 du CGI qui soumettent aux droits de mutation à titre gratuit les transmissions effectuées par des personnes domiciliées fiscalement en France. L'article 894 du code civil définit la donation entre vifs comme un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte.

Les articles L. 132-12 et L. 132-13 du code des assurances prévoient que les sommes versées aux bénéficiaires d'un contrat d'assurance-vie ne font pas partie de la succession du souscripteur et bénéficient d'un régime fiscal spécifique. Les articles 757 B et 990 I du CGI organisent les prélèvements applicables à ces capitaux décès.

 

La problématique centrale réside dans l'articulation entre ces régimes de faveur et la qualification des opérations impliquant des trusts.

Pour mémoire le trust s’entend « de l’ensemble des relations juridiques créées dans le droit d’un Etat autre que la France par une personne qui a la qualité de constituant, par acte entre vifs ou à cause de mort, en vue d’y placer des biens ou droits, sous le contrôle d’un administrateur, dans l’intérêt d’un ou plusieurs bénéficiaires ou pour la réalisation d’un objectif déterminé ». Art 792 O bis CGI )

Rappel des faits :

En 2007, EG, domicilié fiscalement en France, constitue un trust irrévocable et discrétionnaire appelé "E.G. Life Insurance Trust II" (LIT 2) selon le droit américain. Ce trust a pour bénéficiaires ses enfants et petits-enfants, notamment Mme D.P. et M. J.P. Le même jour, E.G. fait souscrire par ce trust un contrat d'assurance-vie auprès de la compagnie Pruco Life Insurance Company, dont il est l'assuré mais dont le trust est le titulaire et bénéficiaire.

Après le décès d'E.G. en 2008, un litige oppose les trustees à la compagnie d'assurance, finalement résolu par un accord transactionnel en 2011. Les trustees versent alors aux petits-enfants les sommes dues, soit 72 054 $ chacun, après déduction des frais.

L'administration fiscale française, à l'issue d'un contrôle fiscal, qualifie ces versements de donations indirectes soumises aux droits de mutation à titre gratuit, réclamant 6 717 € de droits par bénéficiaire, assortis d'intérêts de retard.

 

Le Tribunal judiciaire de Paris ayant débouté les consorts P de leurs demandes en juin 2021, ils ont fait appel.

  • Ils soutiennent que les versements constituent des capitaux décès relevant du régime des assurances, E.G. étant le véritable souscripteur économique du contrat malgré l'interposition du trust.
  • Ils se prévalent de l'absence de dessaisissement irrévocable, E.G. conservant selon eux la faculté de rachat du contrat.
  • Et ils contestent l'existence d'une donation indirecte faute d'acceptation caractérisée des bénéficiaires du vivant du constituant.

De son côté l'administration fiscale estime que le contrat d'assurance-vie était placé dans un trust irrévocable et discrétionnaire, ce qui démontrait un dessaisissement irrévocable et une intention libérale, caractérisant ainsi une donation indirecte. Elle précise que les sommes ont été versées aux bénéficiaires du trust, et non directement du contrat d'assurance-vie.

 

Sur le fond, la Cour vient de confirmer la position de l'administration fiscale et du tribunal.

 

  • La Cour a souligné le caractère irrévocable et discrétionnaire du trust LIT 2, tel qu'il ressortait de son acte constitutif et des stipulations du contrat d'assurance-vie.
  • Elle a jugé que EG s'était irrévocablement dessaisi de son vivant des actifs investis dans le contrat d'assurance-vie au profit des bénéficiaires du trust.
  • Elle a précisé que la faculté de rachat n'appartenait pas à l'assuré mais au titulaire du contrat, c'est-à-dire les trustees.

L'interposition du trust et la dépossession irrévocable de EG ont empêché d'assimiler l'opération à une simple souscription d'assurance-vie classique. Par conséquent, les dispositions des articles L. 132-12 et L. 132-13 du Code des assurances, ainsi que des articles 757 B et 990 I du CGI, n'étaient pas applicables aux sommes perçues par les consorts P en tant que bénéficiaires du trust, et non du contrat d'assurance-vie.

 

Cette exclusion se justifie par le fait que les bénéficiaires reçoivent les sommes en leur qualité de bénéficiaires du trust, non du contrat d'assurance-vie sous-jacent. La Cour considère que les trustees ont dû procéder à un double dénouement : d'abord celui du contrat d'assurance-vie au profit du trust, puis celui du trust au profit des bénéficiaires.

 

La Cour a conclu à l'existence de donations indirectes prenant effet au décès du de cujus, peu important que l'acceptation des bénéficiaires soit intervenue après le décès, cette acceptation pouvant résulter de l'attribution du bénéfice du trust. 

 

 

Publié le mercredi 9 juillet 2025 par La rédaction

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