La cessation d'activité des agents généraux d'assurances obéit à un régime fiscal particulier qui a fait l'objet d'évolutions législatives récentes. Une nouvelle décision permet d'éclairer la distinction entre deux régimes fiscaux potentiellement applicables à ces professionnels lors de leur départ à la retraite : celui de l'indemnité compensatrice de cessation de mandat et celui de la cession d'une entreprise ou d'une branche complète d'activité.
Le cadre juridique applicable aux agents généraux d'assurances est défini par plusieurs textes qui déterminent tant leur statut que la fiscalité applicable aux sommes perçues lors de la cessation de leur activité :
- L'article 20 du règlement n°1 annexé au décret du 5 mars 1949 portant homologation du statut des agents généraux d'assurances prévoit que l'agent général qui cesse de représenter une société d'assurances a le droit, à son choix :
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- soit de présenter à la société un successeur dans un délai maximum de deux mois,
- soit d'obtenir de la société une indemnité compensatrice des droits de créance qu'il abandonne sur les commissions afférentes au portefeuille de l'agence générale d'assurances dont il est titulaire.
- L'article 151 septies A du CGI prévoit un régime spécifique pour l'indemnité compensatrice versée à un agent général d'assurances exerçant à titre individuel par la compagnie d'assurances qu'il représente à l'occasion de la cessation du mandat. Ce régime permet une exonération d'impôt sur le revenu sous certaines conditions :
- le contrat dont la cessation est indemnisée doit avoir été conclu depuis au moins cinq ans au moment de la cessation,
- l'agent général d'assurances doit faire valoir ses droits à la retraite à la suite de la cessation du contrat,
- l'activité doit être intégralement poursuivie dans le délai d'un an.
- les prélèvements sociaux restent dus même en cas d'exonération d'impôt sur le revenu.
- Parallèlement, l'article 238 quindecies du CGI prévoyait, dans sa rédaction applicable à l'année 2017, un régime d'exonération pour les plus-values réalisées à l'occasion de la transmission d'une entreprise individuelle ou d'une branche complète d'activité. La LF pour 2024 a introduit un VIII bis à l'article 238 quindecies du CGI, qui a étendu le régime de l'article 238 quindecies à l'indemnité compensatrice versée à un agent général d'assurances exerçant à titre individuel par la compagnie d'assurances qu'il représente à l'occasion de la cessation du mandat, sous certaines conditions. Bercy a commenté l'extension de l’exonération 238 quindecies du CGI à l'hypothèse de cession de portefeuille à la compagnie mandante et de perception d’une indemnité compensatrice, le 15 mai dernier.
Jusqu'au 31 décembre 2021, l’exonération 238 quindecies était totale lorsque cette valeur était inférieure ou égale à 300 000 € et dégressive lorsque cette valeur était comprise entre 300 000 € et 500 000 €. L’article 19 de la LF pour 2022 a rehaussé ces plafonds à hauteur de 500 000 € pour une exonération totale et à hauteur de 1 000 000 € pour une exonération partielle.
Rappel des faits :
Dans cette affaire, M. B, qui a exercé l'activité d'agent général d'assurances depuis 1982, a cessé son activité le 31 décembre 2017 pour faire valoir ses droits à la retraite. À cette occasion, il a perçu de la compagnie d'assurances MMA une indemnité de fin de mandat d'un montant de 313 077 €.
Conformément à la législation fiscale, M. B a déclaré cette somme sur sa déclaration complémentaire de revenus au titre de l'année 2017, en la reportant à la ligne 5QM prévue pour les indemnités d'agents d'assurances exonérées d'impôt sur le revenu. Il a également déclaré une plus-value à long terme de 297 652 € à la ligne 5HG, exonérée d'imposition en cas de départ à la retraite.
Par un avis d'imposition du 9 septembre 2018, M. B a été assujetti à des cotisations d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux incluant :
- une somme de 5 178 € au titre de la taxe exceptionnelle prévue à l'article 151 septies A-V du CGI, assise sur l'indemnité de 313 077 €,
- une somme de 51 196 € au titre des prélèvements sociaux assis sur la plus-value de 297 652 €.
Contestant ces impositions, M. B a demandé au tribunal administratif de Pau de prononcer la réduction des cotisations d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux à hauteur de ces deux sommes. Par un jugement du 18 avril 2023, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
M. B a alors fait appel devant la Cour Administrative d'Appel de Bordeaux, en limitant toutefois ses conclusions à la réduction des prélèvements sociaux d'un montant de 51 196 €.
Pour contester l'assujettissement aux prélèvements sociaux de la plus-value de 297 652 € M. B fait valoir :
- que la somme de 313 077 € versée lors de son départ à la retraite ne constituait pas une indemnité compensatrice de cession de son activité mais le produit d'une cession de gré à gré d'une branche complète d'activité. Selon lui, cette plus-value devrait donc être exonérée de prélèvements sociaux en application de l'article 238 quindecies du CGI.
- que le transfert de son activité à la SARL Coutet Dubos Seyffart s'est déroulé dans des conditions similaires à une cession de gré à gré d'une branche complète d'activité. Il allègue que la compagnie d'assurances MMA aurait volontairement fait échouer le projet de cession de gré à gré, alors même que la société qui a repris son portefeuille de clients serait celle qu'il a présentée comme repreneur suite au désistement de son premier candidat.
- que l'article 238 quindecies-VIII bis du CGI, introduit par la LF 2024 prévoit que l'indemnité compensatrice versée à un agent général d'assurances bénéficie du même traitement fiscal que la plus-value réalisée à l'occasion de la cession d'une branche complète d'activité. Se fondant sur le point IX de l'article 238 quindecies, qui prévoit que les dispositions de l'article sont applicables aux cessions réalisées à compter du 1er janvier 2006, il estime que les nouvelles dispositions du point VIII bis devraient s'appliquer rétroactivement à sa situation.
- enfin que même si la cession ne peut être regardée comme une cession de gré à gré au sens de l'article 238 quindecies du CGI, ni cet article ni la doctrine administrative (BOFIP du 25 mars 2014) n'imposent que l'indemnité de transfert d'activité soit directement versée par le cessionnaire.
De son côté l'administration estime que la somme perçue par M. B constitue bien une indemnité compensatrice de cessation de mandat versée par la compagnie d'assurances et non le produit d'une cession de gré à gré d'une branche complète d'activité, conformément à la qualification retenue par le contribuable lui-même dans sa déclaration. Elle considère également que les dispositions nouvelles introduites par la loi de finances pour 2024 ne sont pas applicables rétroactivement aux impositions établies au titre de l'année 2017.
La Cour Administrative d'Appel de Bordeaux vient de confirmer le jugement de première instance et de rejetter la requête de M. B.
- Elle constate que M. B, qui exerçait depuis 1982 une activité d'agent général d'assurances, a fait valoir ses droits à la retraite à partir du 31 décembre 2017 et a déclaré à la compagnie d'assurances MMA qu'il souhaitait user de son droit de présentation d'un successeur. Toutefois, cette opération n'a pu se réaliser en raison du désistement du candidat qu'il avait initialement présenté, et ce désistement est intervenu après l'expiration du délai de deux mois pendant lequel l'agent pouvait proposer à la compagnie d'agréer l'opération de cession de mandat.
- Elle relève que, d'après les courriers des 2 mai et 26 juillet 2017 émanant de la compagnie d'assurances MMA, la somme de 313 077 € constituait une indemnité en contrepartie de laquelle M. B abandonnait ses droits de créance sur les commissions afférentes au portefeuille de l'agence générale dont il était titulaire.
- Elle écarte les arguments de M. B tendant à requalifier l'opération en cession de gré à gré, soulignant que les circonstances alléguées (intervention supposée de la compagnie d'assurances pour faire échouer le projet de cession, reprise du portefeuille par une société qu'il aurait présentée comme repreneur) sont indifférentes sur la qualification juridique de l'opération. La Cour constate qu'aucune convention n'a été conclue avec le nouvel agent d'assurance et que ce dernier n'a versé aucune rémunération à M. B.
Sur l'application dans le temps des nouvelles dispositions de l'article 238 quindecies du CGI introduites par la LF pour 2024, la Cour précise qu'en l'absence de dispositions spécifiques prévoyant expressément une application rétroactive, le nouveau régime d'imposition des indemnités compensatrices versées à un agent général d'assurances n'est applicable, en matière d'impôt sur le revenu, qu'aux impositions dues au titre des années 2023 et suivantes. Pour la Cour Le point IX de l'article 238 quindecies, qui prévoit une application aux transmissions réalisées à compter du 1er janvier 2006, ne peut être interprété comme permettant une application rétroactive des dispositions nouvelles introduites ultérieurement.
Enfin, concernant l'interprétation doctrinale invoquée par le contribuable, la Cour indique que l'instruction fiscale référencée BOI-BIC-PVMV-40-20-50 publiée le 25 mars 2014 ne donne pas de la loi une interprétation différente de celle dont il a été fait application, écartant ainsi l'application potentielle de l'article L. 80 A du LPF.
En dépit de la convergence des régimes fiscaux opérée par la LF pour 2024, les dispositions antérieures continueront de s'appliquer pour les contentieux relatifs à des périodes d'imposition antérieures à 2023.