Quand le juge réaffirme l'importance de l'obligation de transparence pour bénéficier de l'exonération de la taxe de 3 % sur les immeubles. Il confirme que la jurisprudence va au-delà de la simple propriété juridique des titres et s'attache à la réalité économique de la détention, afin de débusquer les prête-noms. Une nouvelle illustration de la limite des montages juridiques utilisant les spécificités du droit étranger pour contourner les obligations déclaratives françaises.
Pour mémoire la taxe de 3% sur les immeubles instituée par les articles 990 D et 990 E du CGI constitue un dispositif anti-optimisation visant les entités juridiques étrangères propriétaires d'immeubles en France. Cette taxe vise à mettre sur un pied d'égalité les sociétés françaises, naturellement transparentes, et les entités étrangères qui peuvent dissimuler leurs véritables bénéficiaires.
L'article 990 E du code précité prévoit une exonération conditionnelle pour les entités ayant leur siège dans un pays lié à la France par une convention d'assistance administrative, sous réserve qu'elles s'engagent à communiquer l'identité, l'adresse et la participation de l'ensemble des actionnaires détenant plus de 1% des droits sociaux. Cette exigence de transparence constitue la contrepartie de l'exonération et reflète la volonté du législateur de lutter contre l'opacité des structures de détention.
Rappel des faits :
La société anonyme de droit suisse BH est propriétaire depuis 1996 d'un bien immobilier situé en France. Cette société, dont l'activité principale consiste en l'achat-revente de matières premières, présente une structure capitalistique particulière : son capital est composé de 200 actions au porteur, formellement détenues par M. W, expert-comptable suisse qui en assure également l'administration.
Cependant, la réalité économique s'avère plus complexe. Lors d'un contrôle fiscal initié en 2020, M. J, ressortissant belge, s'est spontanément présenté aux services fiscaux français en qualité de "véritable bénéficiaire économique" de la société. Cette révélation a mis en évidence une dissociation entre la détention juridique des titres (M. W) et leur bénéficiaire économique (M. J).
L'enquête administrative a révélé des éléments troublants : la société ne disposait pas de compte bancaire à son nom, les revenus locatifs du bien français étant versés sur des comptes ouverts au nom de M. J et de sa fille. De plus, un document de 2014 attestait que M. J. se déclarait "seul bénéficiaire économique" de la société et contrôlait "100% du capital social".
Suite au contrôle fiscal, l'administration a notifié à BH une proposition de rectification le 29 octobre 2020, remettant en cause l'exonération de la taxe de 3% pour les années 2014 à 2019. Les rectifications, maintenues intégralement malgré les observations de la société, ont donné lieu à l'émission de deux avis de mise en recouvrement le 14 janvier 2022, pour un montant total de 210 317 €.
La réclamation contentieuse formée par la société ayant été rejetée le 26 septembre 2022, celle-ci a saisi le tribunal judiciaire de Draguignan.
- BH soutient que les déclarations n° 2746 mentionnaient correctement M. W en qualité de porteur légal des actions, conformément à la législation suisse sur les actions au porteur. Elle invoque la jurisprudence de la Cour de cassation distinguant propriété juridique et propriété économique, et conteste'interprétation administrative de l'arrêt SCI Katzoo du 18 octobre 2016.
L'affaire portait sur une SCI propriétaire d'un bien à Courchevel, détenue par une société luxembourgeoise dont les associés statutaires différaient du bénéficiaire économique déclaré. L'administration fiscale avait refusé l'exonération prévue à l'article 990 E du CGI, estimant que les conditions de transparence n'étaient pas remplies. La CA de Chambéry avait accordé l'exonération en se fondant sur des attestations bancaires et fiduciaires établissant l'identité du bénéficiaire économique.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l'administration en validant l'assimilation entre bénéficiaire économique et détenteur d'actions au sens du texte fiscal. La Cour a privilégié la substance économique sur la forme juridique, facilitant l'obtention de l'exonération dès lors que l'identité du véritable bénéficiaire était établie par des preuves concordantes.
L'administration fiscale maintient sa position en soulignant l'opacité des déclarations et le caractère artificiel du montage. Elle a mis en avant l'absence de justification des flux financiers ayant permis à M. W. d'acquérir les actions, l'utilisation de comptes bancaires au nom de M. J. pour les revenus de la société, et l'impossibilité pour M. W. d'exercer des prérogatives réelles sur le bien immobilier. Elle se prévaut d'un arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 2011, 10-25.211, qu'elle estime transposable au cas particulier :
Pour mémoire, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la société luxembourgeoise Immofra, confirmant l'imposition à la taxe de 3% sur la valeur vénale des immeubles détenus en France par des entités étrangères. Cette société, propriétaire d'un bien immobilier en France, avait tenté d'obtenir l'exonération 990 E du CGI mais l'administration avait douté de l'identité réelle de ses actionnaires en raison de l'existence de titres au porteur et de déclarations contradictoires. La société avait invoqué la violation de la liberté de circulation des capitaux, arguant que la législation luxembourgeoise sur les titres au porteur rendait impossible l'identification des actionnaires et donc l'exonération de facto inaccessible.
La Haute juridiction a rappelé que seule l'existence d'une convention d'assistance administrative était requise, peu important les difficultés de mise en œuvre, et que les sociétés devaient se donner les moyens d'identifier leurs actionnaires même avec des titres au porteur. Elle a confirmé la compatibilité du dispositif français avec le droit européen en s'appuyant sur la jurisprudence "Elisa" de 2007 de la CJUE. L'arrêt consacre le principe que l'opacité des structures ne peut exonérer les sociétés de leurs obligations déclaratives et renforce les outils de lutte contre l'évasion fiscale basée sur l'anonymat des investissements immobiliers.
Le tribunal vient de rejeter les prétentions de BH.
Le juge a estimé que, nonobstant la régularité de la détention des actions au porteur par M. W. au regard de la législation suisse, la société BH n'avait pas satisfait à l'obligation de transparence exigée par le CGI.
Il a considéré que l'expert-comptable, M. W, ne pouvant ni louer ni aliéner le bien, était un simple prête-nom au regard de la loi fiscale française. Il a relevé le caractère délibéré de cette opacité, justifié par le fait que les revenus de la société étaient perçus au profit de M. J, qui était le véritable propriétaire
L'enquête du service a permis d'établir que la société Belac Handels ne disposait pas d'un compte bancaire destiné à recevoir les sommes tirées de la location du bien et à régler les charges.
Il n'est pas contesté par la partie demanderesse que le chiffre d'affaires généré par le bien alimentait des comptes bancaires au nom de Monsieur [J] et de sa fille.
Dans ces conditions, quelle que soit la régularité ou non au regard du droit suisse de la situation de Monsieur [W], expert-comptable du cabinet Fiduciaire [N] [W], tenant la comptabilité de la société Belac Handels, et porteur de la totalité des actions de ladite société, il ne peut être considéré que la société demanderesse ait satisfait à l'obligation de transparence posée par l'article 990 du code général des impôts quant au véritable détenteur du bien considéré.
En qualité d'expert-comptable, M. [W], qui ne disposait sur le bien d'aucun droit réel, ne pouvant ni le louer ni l'aliéner, ne pouvait ignorer qu'il était un prête-nom au regard de la loi fiscale française.
En qualité de véritable propriétaire du bien, Monsieur [J], qui a précisé à l'administration fiscale qu'il avait envisagé d'en faire sa résidence secondaire avant de décider de le louer, ne pouvait ignorer de son côté que les déclarations n° 2746 auraient dû être établies en mentionnant son nom comme le véritable détenteur de la société. La société demanderesse dans ses écritures n'apporte aucune explication à ce montage soutenant dans sa réponse à la proposition de rectification en date du 7 janvier 2021 que M. [J] ignorait la législation fiscale française et qu'il s'était présenté par erreur comme le véritable bénéficiare économique de la SA.
TL;DR
Le juge de l'impôt :
- réaffirme l'importance de l'obligation de transparence pour bénéficier de l'exonération de la taxe de 3 %
- confirme que la jurisprudence va au-delà de la simple propriété juridique des titres et s'attache à la réalité économique de la détention, afin de débusquer les prête-noms en s'appuyant sur une analyse de fond des faits et des flux financiers pour identifier le véritable propriétaire du bien
- envoie un signal fort aux entités étrangères qui tenteraient de contourner leurs obligations déclaratives en utilisant des montages juridiques opaques au sens de notre législation