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Impôt sur les sociétés

Management fees et communauté de dirigeants : la nécessité d'une documentation irréprochable

Cette décision s'inscrit dans une jurisprudence constante en matière de déductibilité des charges liées à des prestations de services intra-groupe, mais précise les exigences probatoires applicables. Elle rappelle la nécessité pour les entreprises de mettre en place une documentation solide pour justifier de telles charges et éviter leur remise en cause ainsi que l'application de pénalités en cas de contrôle fiscal.

 

Le litige porte sur l'application des articles 38, 39 et 209 du CGI relatifs à la détermination du bénéfice imposable et à la déductibilité des charges pour les sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés.

 

L'article 38 du CGI définit le bénéfice net imposable comme la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période d'imposition, tenant compte des opérations de toute nature effectuées par l'entreprise. L'article 39-1 précise que ce bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, notamment les frais généraux, à condition que ces rémunérations correspondent à un travail effectif et ne soient pas excessives eu égard à l'importance du service rendu. Le BOFiP précise que le contribuable doit pouvoir démontrer l’existence de la charge, sa justification comptable et l’intérêt pour l’entreprise

 

La jurisprudence a complété ce cadre légal par la théorie de l'acte anormal de gestion, qui permet à l'administration fiscale de rejeter la déduction de charges résultant d'actes qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangers à une gestion normale. Un acte anormal de gestion se caractérise par l'appauvrissement d'une entreprise à des fins étrangères à son intérêt.

 

S'agissant des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif : il incombe au contribuable de justifier du montant des charges qu'il entend déduire et de la correction de leur inscription en comptabilité. Cette justification doit porter sur la nature de la charge, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Si le contribuable s'acquitte de cette obligation, c'est ensuite à l'administration d'apporter la preuve que la charge n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, que cette contrepartie est sans intérêt pour le contribuable ou que sa rémunération est excessive. 

 

S'agissant des management fees, rappellons le Conseil d’État a infléchi sa jurisprudence en 2023 (CE, 4 oct. 2023, « Collectivision ») en admettant la déductibilité quand la société établit qu’elle entend seulement rémunérer indirectement le dirigeant et que la prestation présente un intérêt pour elle. Toutefois dans cette affaire « Collectivision » la Cour de renvoi a récemment estimé qu'un acte anormal de gestion était bien caractérisé (CAA Marseille 3 avril 2025)

 

Rappel des faits :

La société EN, qui exerce une activité d'installation d'équipements thermiques et de climatisation, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er juillet 2014 au 30 juin 2017. À l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale a procédé à des réintégrations dans ses bénéfices imposables, notamment des charges à hauteur de 78 000 € au titre de l'exercice clos le 30 juin 2015 et de 26 000 € au titre de l'exercice clos le 30 juin 2016.

Ces charges correspondaient à des frais de prestations d'assistance facturés par la société EN Lux, établie au Luxembourg, à hauteur de 6 500 € par mois. Les factures portaient la seule mention de "forfait diverses prestations". Au stade du recours hiérarchique, la société a produit un "contrat commercial" signé le 3 mars 2014 entre les deux entités, prévoyant que la société luxembourgeoise s'engageait à réaliser des missions d'assistance commerciale, de gestion, technique et de consulting en faveur de la société française.

Le tribunal administratif de Strasbourg ayant rejeté sa demande de décharge des impositions et majorations, la société EN a fait appel devant la Cour Administrative d'Appel de Nancy.

  • La société EN soutient que les factures émises par la société EN Lux correspondaient à des prestations substantielles accomplies par le gérant commun aux deux sociétés au Luxembourg et présentaient une contrepartie réelle pour elle. Elle expliquait notamment que les commissions qu'elle versait à la société luxembourgeoise au titre des commandes obtenues (et dont la déductibilité n'avait pas été remise en cause) n'étaient pas suffisantes pour couvrir les frais fixes de location de stands et les frais de gestion correspondant au travail effectué par son gérant.
  • L'administration fiscale considère de son côté que les charges déduites ne sont justifiées ni dans leur principe ni dans leur montant, en l'absence d'éléments établissant la réalité des prestations effectuées. Elle relève le libellé imprécis des factures et l'absence de détail sur les prestations réalisées. Elle souligne également que le gérant de la société luxembourgeoise était également celui de la société française.
Arguments de EN  Arguments de l'administration
Les honoraires rémunéraient de réelles prestations de prospection et de gestion assurées au Luxembourg Le libellé des factures était trop imprécis, aucun détail ni justificatif opérationnel n’étant fourni
Les commissions versées parallèlement n’étaient pas suffisantes pour couvrir les coûts fixes de la structure luxembourgeoise Aucune décision sociale n’établissait que le versement visait la rémunération indirecte du dirigeant
L'absence d’intention d’éluder l’impôt faisait obstacle à la pénalité de 40 % La communauté d’intérêts et le montant significatif des versements établissaient le caractère délibéré du manquement

 

La Cour Administrative d'Appel vient de donner raison à l'administration fiscale.

 

Elle a constaté :

  • que la société EN ne produisait aucun élément permettant d'établir la matérialité des prestations qui auraient été assurées à son profit et qui n'auraient pas déjà été valorisées par le paiement des commissions.
  • qu'il n'était pas établi que la société française aurait davantage bénéficié des démarches réalisées au Luxembourg que la société luxembourgeoise elle-même.

Alors que les factures en sa possession ne comportent aucun détail des prestations, la société requérante ne produit toutefois aucun élément permettant d'établir la matérialité, dans son principe et dans son montant, des prestations qui auraient été assurées à son profit dans le cadre des démarches de prospection de la société luxembourgeoise au Luxembourg et qui n'auraient pas déjà été valorisées par le paiement des commissions. Il n'est pas non plus établi, dans son principe et dans son ampleur, que la société requérante aurait davantage bénéficié des retombées des démarches réalisées au Luxembourg par la société Eco NRJ Lux que cette dernière.

La Cour a par ailleurs examiné l'argument relatif à la rémunération indirecte du dirigeant commun aux deux sociétés. Elle a rappelé que l'absence de versement d'une rémunération par la société française à son gérant ne constitue pas une décision de gestion faisant obstacle à la rémunération de ce même dirigeant par l'intermédiaire d'une autre société. Toutefois, elle a constaté qu'aucune décision des organes sociaux compétents ne permettait de considérer qu'en versant des honoraires à la société luxembourgeoise, la société française aurait entendu rémunérer indirectement son dirigeant pour des prestations relevant de ses fonctions normales.

La conclusion par une société d'une convention de prestations de services avec une autre société pour la réalisation, par le dirigeant de la première, de missions relevant des fonctions inhérentes à celles qui lui sont normalement dévolues ne relève pas d'une gestion commerciale anormale si cette société établit que ses organes sociaux compétents ont entendu en réalité, par le versement des honoraires correspondant à ces prestations, rémunérer indirectement le dirigeant et qu'ainsi ce versement n'est pas dépourvu pour elle de contrepartie, le choix d'un mode de rémunération indirect ne caractérisant pas en lui-même un appauvrissement à des fins étrangères à son intérêt.

Enfin, la Cour a confirmé le bien-fondé la majoration de 40%, estimant que l'administration avait établi l'intention délibérée de la société d'éluder l'impôt en majorant ses charges. Elle a précisé que la circonstance que le contrat commercial ne serait pas fictif, que les salaires versés au gérant par la société luxembourgeoise aient été imposés en France et que le résultat fiscal de la société française soit demeuré bénéficiaire était sans incidence sur cette qualification.

 

TL;DR

  • Concernant le régime de preuves applicable en matière de déductibilité des charges : il appartient au contribuable de justifier du principe même de la déductibilité des charges qu'il entend déduire, en produisant des éléments précis sur leur nature et sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Des factures au libellé imprécis, sans détail des prestations réalisées, accompagnées d'un contrat générique ne suffisent pas à satisfaire cette obligation probatoire.
  • Concernant  la déductibilité des charges liées à des prestations de services intra-groupe : au cas particulier, la communauté de dirigeant entre les deux sociétés a constitué un élément d'alerte pour l'administration. La Cour confirme que, dans une telle situation, le contribuable doit être particulièrement vigilant dans la justification des prestations et de leur intérêt pour sa société. La simple production d'un contrat-cadre ne suffit pas, il faut pouvoir démontrer la réalité et la spécificité des prestations rendues.
  • Concernant la rémunération indirecte d'un dirigeant par l'intermédiaire d'une autre société. La Cour admet qu'une telle pratique n'est pas en elle-même constitutive d'un acte anormal de gestion, à condition qu'elle soit expressément validée par les organes sociaux compétents de la société qui supporte la charge. 

Publié le mercredi 30 avril 2025 par La rédaction

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