Le juge de l'impôt nous rappelle les conditions dans lesquelles un engagement de construire pris dans le cadre d'une acquisition immobilière doit être poursuivi en cas de revente du bien avant la réalisation des travaux.
L'article 1594-0 G du CGI dispose que, sous réserve d'application de l'article 691 bis du CGI, sont exonérées de TPF ou de droits d'enregistrement les acquisitions d'immeubles réalisées par des personnes assujetties au sens de l'article 256 A du CGI lorsque l'acte d'acquisition contient l'engagement, pris par l'acquéreur, d'effectuer dans un délai de quatre ans (éventuellement prorogeable) les travaux conduisant à la production d'un immeuble neuf au sens de l'article 257-I-2-2° du CGI.
Ce régime de faveur vise à éviter une double imposition économique. En effet, l'opération, soumise à la TVA au moment de la revente de l'immeuble nouvellement construit, se trouverait alourdie si elle était également assujettie aux droits de mutation lors de l'acquisition initiale.
Toutefois, le bénéfice de cette exonération est soumis à des conditions strictes dont le non-respect entraîne la remise en cause de l'avantage fiscal, avec application des droits de mutation au taux de droit commun, majorés des intérêts de retard.
Rappel des faits :
Dans cette affaire, la société civile de construction attribution (SCCA) HV, dont la société R mdb était associée, avait acquis le 19 juin 2015 une maison à usage d'habitation destinée à être démolie pour devenir un terrain à bâtir. Dans l'acte notarié, la SCCA avait pris l'engagement de construire dans un délai de quatre ans à compter de la date d'acquisition, bénéficiant ainsi du régime de faveur prévu par l'article 1594-0 G du CGI.
Cependant, quatre mois plus tard, le 15 octobre 2015, la SCCA a cédé le bien à la société S. Cette dernière a déposé une déclaration d'achèvement et de conformité des travaux le 26 octobre 2016, soit dans le délai initial de quatre ans.
Considérant que l'engagement de construire n'avait pas été respecté dans les délais par la SCCA HV, l'administration fiscale lui a adressé, le 26 septembre 2019, une proposition de rectification afin de lui réclamer les droits de mutation exigibles au taux de droit commun. Le lendemain, elle a adressé la même proposition à la société R mdb, en sa qualité d'associée.
La société Rmdb a contesté ces rappels et a assigné l'administration fiscale devant le tribunal judiciaire.
L'administration fiscale soutenait que les conditions du régime de faveur n'étaient plus remplies dès lors que :
- La SCCA HV avait revendu le bien quatre mois après son acquisition à la SCI S ;
- La SCI S n'était pas assujettie à la TVA ;
- La SCI S n'avait pas repris, dans l'acte d'acquisition, l'engagement de construire.
Pour l'administration, l'engagement initial devait être considéré comme rompu en raison de la revente à un acquéreur qui ne remplissait pas les conditions requises pour bénéficier du régime de faveur.
De son côté, la société R mdb soutenait que les conditions du régime de faveur étaient remplies dès lors que :
- La SCCA Les Hauts de la Vigne, assujettie à la TVA, avait bien pris l'engagement de réaliser des travaux dans un délai de 4 ans dans l'acte authentique du 19 juin 2015 ;
- La construction avait effectivement été réalisée dans le délai de quatre ans, comme en attestait la déclaration d'achèvement des travaux déposée par la société Solea le 26 octobre 2016.
En substance, le contribuable faisait valoir que l'objectif de la loi était atteint puisque les travaux avaient bien été réalisés dans le délai prévu.
La Cour d'appel de Bordeaux (CA de Bordeaux du 29 novembre 2023, n° RG 21/06718) a donné raison au contribuable en considérant que les conditions du bénéfice de l'exonération prévues par l'article 1594-0 G du CGI étaient remplies dès lors que :
- La SCCA Les Hauts de la Vigne, assujettie à la TVA, avait pris l'engagement de réaliser des travaux de construction dans un délai de quatre ans ;
- La société Solea, sous-acquéreur, avait déposé la déclaration d'achèvement des travaux dans les délais.
La Cour d'appel a ainsi privilégié une approche téléologique, considérant que la finalité du dispositif (la réalisation effective de la construction) avait été respectée.
La Cour a décidé de suivre la position de la société précisant que l'exonération de droits est seulement subordonnée au fait que l'engagement de construire a été pris par l’acquéreur assujetti à la TVA et que les travaux ont été effectués dans le délai de quatre années à compter de cet engagement figurant dans l’acte d’acquisition, sans qu'y fasse obstacle le fait que les travaux ont été exécutés par un tiers à l’acquéreur engagé assujetti.
Voir notre commentaire de l'arrêt de la Cour d'appel : Engagement de construire : l'exonération de droits s'applique même en cas d'exécution des travaux par un tiers à l’acquéreur engagé assujetti
Il est constant en droit que l’exonération des droits d’enregistrement est acquise dès lors que l’acquéreur assujetti à la TVA prend l’engagement d’effectuer dans un délai de quatre ans à compter de l’acte d’acquisition les travaux conduisant à la production d’un immeuble neuf ou nécessaires pour terminer un immeuble inachevé, cette exonération ne pouvant être remise en cause qu’à défaut de justification de leur réalisation à l’expiration de ce délai.
Dès lors qu’un tel engagement a été pris par l’acquéreur assujetti à la TVA d’une part et que les travaux exigés par l’article 1594-0 G du code général des impôts ont été effectués dans le délai de quatre années à compter de cet engagement figurant dans l’acte d’acquisition d’autre part, il est sans incidence sur cette exonération que les travaux aient été exécutés par un tiers à l’acquéreur engagé assujetti, l’article 1590-0 G du code général des impôts ne l’exigeant pas.
En l’espèce, il est établi que la société Les Hauts de la Vigne, assujettie à la TVA, a pris l’engagement de réaliser des travaux dans un délai de 4 ans ainsi qu’il est mentionné en page onze de l’acte authentique du 19 juin 2015 ; que la société Soléa, sous-acquéreur, a déposé la déclaration d’achèvement des travaux au sens de l’article 266 bis de l’annexe III du code général des impôts le 26 octobre 2016.
C’est donc par des motifs pertinents que le premier juge a déchargé la société Residential MDB du rappel d’imposition objet du litige.
La Cour de cassation vient de casser l'arrêt de la Cour d'appel, en lui reprochant de ne pas avoir recherché, comme elle y était invitée, si la SCI Solea était assujettie à la TVA.
Pour la haute juridiction, la qualité d'assujetti à la TVA du sous-acquéreur constitue une condition essentielle du maintien de l'exonération en cas de revente du bien avant la réalisation des travaux. En omettant de vérifier cette condition, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Vu l'article 1594-0 G du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014, applicable au litige :
5. Selon ce texte, sont exonérées de taxe de publicité foncière ou de droits d'enregistrement les acquisitions d'immeubles réalisées par une personne assujettie au sens de l'article 256 A, lorsque l'acte d'acquisition contient l'engagement, pris par l'acquéreur, d'effectuer dans un délai de quatre ans les travaux conduisant à la production d'un immeuble neuf au sens du 2° du 2 du I de l'article 257, ou nécessaires pour terminer un immeuble inachevé. Cette exonération est subordonnée à la condition que l'acquéreur justifie à l'expiration du délai de quatre ans de l'exécution des travaux.
6. Pour rejeter la demande de l'administration fiscale, l'arrêt retient que les conditions du bénéfice de l'exonération prévues par l'article 1594-0 G du code général des impôts sont remplies dès lors qu'il est établi que la société Les Hauts de la Vigne, assujettie à la TVA, a pris l'engagement de réaliser des travaux de construction dans un délai de quatre ans et que la société Soléa, sous-acquéreur, a déposé la déclaration d'achèvement des travaux au sens de l'article 266 bis de l'annexe III du code général des impôts dans les délais.
7. En se déterminant ainsi sans rechercher, comme elle y était invitée, si la SCI Solea était assujettie à la TVA, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
TL;DR
Régime de faveur prévu par l'article 1594-0 G du CGI, la Cour de cassation :
- rappelle que le bénéfice de l'exonération est susceptible d'être maintenu en cas de revente du bien avant la réalisation des travaux, dès lors que certaines conditions sont respectées. La revente n'entraîne donc pas automatiquement la remise en cause de l'avantage fiscal.
- souligne que la qualité d'assujetti à la TVA du sous-acquéreur est une condition indispensable au maintien de l'exonération. Cette exigence découle de la logique même du dispositif, qui vise à éviter une double imposition économique pour les opérateurs assujettis à la TVA.
- suggère implicitement que le sous-acquéreur devrait également reprendre l'engagement de construire dans l'acte d'acquisition, bien que ce point n'ait pas été directement traité dans la décision.