Cette décision s'inscrit dans la lignée jurisprudentielle relative à l'interprétation des conditions d'application de l'exonération partielle prévue à l'article 787 B du CGI. Elle illustre les difficultés d'appréciation du caractère prépondérant d'une activité éligible lorsqu'une société exerce une activité mixte combinant gestion locative civile et opérations commerciales de promotion immobilière.
Aux termes de l’article 787 B du CGI, les transmissions de parts ou actions de sociétés ayant fait l’objet d’un pacte « Dutreil » sont exonérées de droits de mutation à titre gratuit à concurrence de 75 % de leur valeur. Seules les parts ou les actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale peuvent bénéficier de cette exonération partielle.
S'il n’est pas exigé que la société exerce à titre exclusif les activités susvisées; il suffit qu’elle les exerce de façon prépondérante de sorte qu'elles constituent son activité principale.
La jurisprudence a progressivement précisé que la détermination de l'activité prépondérante ne peut se limiter à un critère unique mais doit résulter d'un faisceau d'indices prenant en compte notamment le chiffre d'affaires généré par chaque activité et la composition de l'actif social.
L'administration fiscale a commenté cette approche dans sa doctrine BOFIP-Impôts :
Dans l'hypothèse envisagée de sociétés ayant une activité mixte, il est précisé qu'il n'est pas exigé, pour l'application du dispositif d'exonération partielle, que ces sociétés exercent à titre exclusif une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Dès lors, le bénéfice du régime de faveur ne pourra pas être refusé aux parts ou actions d'une société qui exerce à la fois une activité civile, autre qu'agricole ou libérale, et une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale dans la mesure où cette activité civile n'est pas prépondérante (RM Bobe n° 94047, JO AN du 24 octobre 2006, p. 11064).
Le caractère prépondérant de l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale s’apprécie au regard de deux critères cumulatifs que sont le chiffre d’affaires procuré par cette activité (au moins 50 % du montant du chiffre d’affaires total) et le montant de l’actif brut immobilisé (au moins 50 % du montant total de l’actif brut).
Soulignons que par une décision du 23 janvier 2020 le Conseil d'état a annulé pour excès de pouvoir ces commentaires BOFIP ( BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 ). Puis Bercy a tiré les conséquences de la jurisprudence du Conseil d'Etat en l'intégrant à ses nouveaux commentaires BOFIP soumis à consultation publique le 6 avril 2021.
Dans ses commentaires définitifs publiés le 21 décembre 2021, Bercy :
- a répondu de manière implicite à la question du député Mohamed Laqhila en se pronnonçant pour l’éligibilité de l’activité de construction-vente d’immeubles (promotion immobilière) au régime Dutreil transmission visé à l’article 787 B du CGI
- a précisé que l'actif brut immobilisé et circulant devait être affecté l'activité éligible.
Rappel des faits :
Le contentieux de l'affaire trouve son origine dans une donation-partage réalisée le 18 décembre 2014 par Monsieur I au profit de ses trois enfants, portant sur la nue-propriété de 751 actions de la société Groupe C. La valeur de cette transmission s'élevait à 3 877 200 €, montant sur lequel avait été appliquée l'exonération partielle de 75% prévue à l'article 787 B du CGI.
La société Groupe C présentait la particularité d'exercer une activité mixte combinant d'une part une activité de gestion locative considérée comme civile, et d'autre part des opérations de promotion immobilière et de marchand de biens relevant du domaine commercial. Cette dualité d'activités était notamment matérialisée par des participations dans quinze SCI détenant des biens donnés en location, ainsi que par des opérations ponctuelles d'achat-revente immobilière.
Au moment de la donation, la société détenait directement plusieurs actifs immobiliers significatifs, notamment un appartement occupé par l'un des donataires, une maison acquise en viager, et un ensemble immobilier de bureaux et parkings financé par crédit-bail et donné en location à des tiers.
L'administration a remis en cause l'application de l'exonération partielle par une proposition de rectification notifiée le 13 septembre 2018. Cette rectification était fondée sur la contestation du caractère prépondérant de l'activité commerciale de la société au jour de la donation.
La réclamation du contribuable ayant été rejetée le 10 juin 2020, celui-ci a saisi la juridiction judiciaire. Le tribunal judiciaire de Paris, par jugement du 13 janvier 2022, avait débouté le contribuable de l'ensemble de ses demandes, confirmant ainsi la position de l'administration fiscale. C'est contre cette décision que Monsieur I a formé appel.
Monsieur I soutient que la société groupe C exerçait bien une activité commerciale prépondérante au jour de la donation. Pour ce faire il se prévaut
- de l'analyse du chiffre d'affaires. Il met en avant la nature cyclique des activités de promotion immobilière et de marchand de biens, plaidant pour une appréciation sur le moyen terme plutôt qu'une analyse ponctuelle au jour de la transmission. Il souligne que les sociétés civiles avaient dans leur grande majorité dénoué leurs programmes immobiliers, cédant 64% des actifs existants au jour de la donation ;
- de la composition de l'actif. Il estime que les participations dans les sociétés civiles et les avances consenties à ces dernières relevaient de l'activité professionnelle de la société holding, particulièrement lorsque ces sociétés avaient achevé et cédé la totalité de leurs actifs immobiliers dans le cadre d'opérations de construction-vente.
Par ailleurs, invoquant la garantie de l'article L. 80 A du LPF, il soutient avoir respecté les conditions définies par la doctrine administrative en vigueur. Il considère avoir satisfait au critère du chiffre d'affaires et estime que la doctrine n'exigeait pas que l'actif brut immobilisé soit nécessairement affecté à l'activité éligible.
La Cour d'appel de Paris a confirmé intégralement le jugement de première instance
Concernant l'appréciation de l'activité prépondérante
- La Cour a rappelé que la détermination de l'activité prépondérante résultait d'un faisceau d'indices ne se limitant pas au seul pourcentage de chiffre d'affaires ou au montant de l'actif brut immobilisé.
- Elle a procédé à un examen de la situation au jour du fait générateur de l'imposition. Elle a validé l'analyse de l'administration concernant le chiffre d'affaires, constatant que l'activité commerciale ne représentait que 250 000 € contre 974 777 € pour l'activité civile de location.
- La Cour a ensuite examiné la situation de chacune des quinze SCI, relevant que ces sociétés exerçaient principalement une activité civile de location de longue durée. Elle a souligné qu'il n'était pas justifié d'opérations d'achat suivies de revente susceptibles de relever de l'activité commerciale de marchand de biens, les participations relevant donc de l'activité civile.
Cette analyse a conduit la Cour à confirmer que la part de l'actif brut affecté à l'activité commerciale ne représentait que 41,89% de l'actif total, soit un niveau insuffisant pour caractériser une activité prépondérante.
La Cour a rejeté l'argumentation du contribuable relative à l'article L. 80 A du LPF. Elle a souligné que la doctrine administrative exigeait deux critères cumulatifs pour caractériser une activité prépondérante : un chiffre d'affaires supérieur à 50% et un actif brut immobilisé supérieur à 50%.
Les juges ont précisé que ces critères devaient s'apprécier en tenant compte de l'affectation réelle des actifs à l'activité considérée, excluant une approche purement comptable qui ne distinguerait pas la nature des activités exercées.
Les critères du chiffre d'affaires et de l'actif brut immobilisé doivent s'apprécier en tenant compte de l'affectation réelle des actifs à chaque activité.