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Evasion fiscale

Avoirs détenus à l'étranger et article L.23C du LPF : le juge sursoit à statuer en attendant l'éclairage de la Cour de cassation

Nouveau sursis à statuer dans une affaire de taxation d'office des avoirs détenus à l'étranger mettant en cause la conventionnalité de l'article L.23C du LPF.

 

Pour mémoire, il ressort de l'article 1649 A du CGI, que les contribuables domiciliés en France doivent déclarer, lors de leur déclaration de revenus, l'ensemble de leurs comptes ouverts, utilisés ou clos à l'étranger. Le non-respect de cette obligation expose le contribuable à des sanctions fiscales.

 

L'article L.23 C du LPF, disposition introduite par la LFR pour 2012 et renforcée par les lois suivantes dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale internationale permet à l'administration fiscale, lorsqu'elle constate qu'un contribuable détient des avoirs à l'étranger non déclarés, de lui demander de justifier l'origine et les modalités d'acquisition de ces avoirs.

 

En cas de réponse insuffisante ou d'absence de réponse, l'administration peut mettre en œuvre la procédure de taxation d'office prévue à l'article L.71 du même livre, en présumant que ces avoirs constituent des revenus ou des donations non déclarées. Dans le cas présent, l'administration a appliqué les dispositions de l'article 755 du CGI pour soumettre ces avoirs aux droits de mutation à titre gratuit, considérant qu'ils constituaient des donations non déclarées.

 

La particularité et la difficulté juridique de ce dispositif résident dans l'absence de délai de prescription spécifique pour la mise en œuvre de la procédure de l'article L.23 C. Contrairement aux procédures classiques de contrôle fiscal soumises au délai de reprise de trois ou six ans selon les cas, cette procédure peut être engagée sans limitation de temps, créant un effet d'imprescriptibilité que dénoncent les contribuables et leurs conseils.

 

Les sages ont jugé que les dispositions des articles L. 23 C du LPF, dans sa rédaction issue de la LFR pour 2012, et de l’article 755 du CGI, dans sa rédaction résultant du décret n° 2013-463 du 3 juin 2013 étaient conforme à la constitution.  Dans cette décision n°2021-939 QPC du 15 octobre 2021, le Conseil Constitutionnel a refusé de sanctionner le régime des articles L 23 C du LPF et 755 du CGI, considérant que ce dispositif de taxation des avoirs à l'étranger ne méconnaissait ni le principe d'égalité devant les charges publiques ni le principe d'égalité devant la loi.

 

Rappel des faits :

L'administration fiscale a découvert, lors d'un examen de situation fiscale personnelle portant sur les années 2017 et 2018, que Mme U.J. détenait plusieurs comptes bancaires non déclarés ouverts en Espagne. Conformément à la procédure prévue, l'administration a sollicité l'assistance des autorités fiscales espagnoles par deux demandes datées des 15 octobre 2020 et 11 mai 2021, puis a interrogé directement la contribuable sur l'origine et les modalités d'acquisition des avoirs figurant sur ces comptes.

Face à une réponse jugée insuffisante, l'administration a mis en demeure la contribuable d'apporter les précisions demandées, puis, en l'absence de nouvelle réponse, a engagé la procédure de taxation d'office. La proposition de rectification du 23 juin 2022 a porté le montant total des avoirs imposables sur la période 2012-2018 à 200 021,96 euros, entraînant un rappel de droits de mutation à titre gratuit de 120 013 euros, ramené à 116 793 euros après recours hiérarchique.

 

Mme UJ invoque l'inconventionnalité du dispositif au regard du principe constitutionnel de sécurité juridique, soutenant que l'effet d'imprescriptibilité induit par l'article L.23 C du LPF méconnaît ce principe fondamental. Elle considère également que ce dispositif institue une restriction disproportionnée au principe de libre circulation des capitaux garanti par l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

 

L'argument principal de Mme UJ est lié au caractère décorrélé du fait générateur retenu par le législateur par rapport à la date d'acquisition des avoirs détenus à l'étranger. Cette dissociation permettrait à l'administration de demander indéfiniment au contribuable de justifier l'origine et les modalités d'acquisition de ses avoirs, y compris lorsqu'ils sont entrés dans son patrimoine au-delà du délai de prescription de dix années, créant ainsi une insécurité juridique permanente.

 

À titre subsidiaire, Mme UJ soutient que l'administration n'était pas fondée à l'interroger sur la constitution d'avoirs obtenus au-delà du délai de prescription décennal, invoquant une forme de protection temporelle qui devrait limiter l'action administrative.

 

Face à ces questions  touchant à l'articulation entre notre droit fiscal national et le droit européen, le tribunal de Nanterre avait initialement choisi de saisir la CJUE d'une demande de décision préjudicielle le 10 janvier 2024. Cette demande portait sur deux questions essentielles :

  • la compatibilité de l'effet d'imprescriptibilité induit par l'article L.23C avec le principe de libre circulation des capitaux,
  • et les conséquences à en tirer sur la validité des procédures de rectification fondées sur ces dispositions.

Cependant, par ordonnance du 20 mars 2025, la CJUE a déclaré cette demande manifestement irrecevable, privant ainsi le tribunal français de l'éclairage européen souhaité. Cette décision d'irrecevabilité, dont les motifs ne sont pas précisés dans le jugement, a contraint le tribunal à rechercher d'autres voies pour résoudre les difficultés juridiques soulevées.

 

Le tribunal a alors constaté qu'un pourvoi pendant devant la chambre commerciale de la Cour de cassation (n° J 23-10.404) soulevait des questions similaires à celles posées dans la présente affaire. La chambre commerciale avait d'ailleurs elle-même sursis à statuer le 6 novembre 2024 dans l'attente de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne. Suite à la déclaration d'irrecevabilité de cette dernière, l'affaire a été mise en délibéré devant la Cour de cassation pour le 17 septembre 2025.

 

Dans ce contexte, le Tribunal de Nanterre, constatant que les moyens soulevés par Mme UJ rejoignent ceux examinés par la Cour de cassation, a décidé de surseoir à statuer sur les demandes des parties. Il estime que la décision à venir de la Cour de cassation le 17 septembre 2025 est susceptible d'avoir une incidence directe sur la solution du litige.

 

La décision attendue de la Cour de cassation le 17 septembre 2025 sera déterminante pour l'avenir de ce dispositif.

Si la haute juridiction devait confirmer l'inconventionnalité de l'article L.23 C du LPF dans sa rédaction actuelle, cela pourrait conduire le législateur à réviser ce mécanisme pour le rendre compatible avec les exigences constitutionnelles et européennes, tout en préservant son efficacité dans la lutte contre la fraude fiscale internationale.

 

Publié le mercredi 23 juillet 2025 par La rédaction

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