Eclairage du juge de l'impôt sur l'application des dispositions de l'article 209 B du CGI qui vient de juger qu'un montage financier complexe, bien que permettant une optimisation fiscale significative, échappe à la qualification de montage artificiel en raison de l'existence d'une contrepartie économique réelle pour l'entreprise française. L'existence d'un régime fiscal privilégié ne suffit pas, à elle seule, à justifier la taxation en France des bénéfices d'une filiale européenne.
Pour mémoire, l’article 209 B du CGI permet à l’administration d’imposer une société française soumise à l’IS, à proportion de sa quote-part de capital, sur les résultats que réalisent ses filiales étrangères (directes ou indirectes) qui bénéficient localement d’un régime fiscal privilégié (qui y sont soumises à un impôt dont le montant est inférieur de plus de 50% à l’impôt dont elles auraient été redevables en France si elles y avaient été établies).
Ce mécanisme a pour objet de dissuader les personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés de localiser une partie de leurs bénéfices dans des entreprises ou entités établies dans un Etat ou un territoire situé hors de France où elles sont soumises à un régime privilégié au sens de l’article 238 A du CGI.
Toutefois, en application de l'article 209 B-II (clause de sauvegarde) ces dispositions ne s'appliquent pas si l'entité est établie dans un État membre de l'UE et si sa détention par la société française n'est pas constitutive d'un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française. La charge de la preuve du caractère artificiel du montage pèse sur l'administration fiscale.
Rappel des faits :
La société A, tête d'un groupe fiscalement intégré, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre des exercices 2011 et 2012. L'administration fiscale a procédé à deux rehaussements principaux.
Le premier concernait l'application de l'article 209 B aux bénéfices de la société HF BV, une société de droit néerlandais fiscalement résidente au Royaume-Uni. Cette société, dont Axa détenait l'intégralité des droits financiers via une filiale luxembourgeoise, F, était formellement détenue majoritairement en droits de vote par une filiale du groupe Société Générale, SGI UK. Cette structure permettait à HF BV de bénéficier du régime d'intégration fiscale britannique et d'imputer sur ses importants bénéfices (issus d'une activité de prêts à des filiales d'A) des déficits transférés par le groupe Société Générale. En contrepartie de ce transfert, HF BV versait une soulte contractuelle à SGI UK. L'administration, considérant que l'impôt effectivement acquitté par HF BV au fisc britannique était minime, a qualifié la situation de régime fiscal privilégié et, estimant le montage artificiel, a réintégré les bénéfices de Hordle dans les résultats d'A.
Le second rehaussement portait sur la déduction de charges financières, sur le fondement de l'article 57 du CGI. A avait restructuré des emprunts contractés auprès de filiales américaines, en allongeant leur durée et en acceptant un taux d'intérêt supérieur au taux de marché applicable à un nouvel emprunt. L'administration considérait que le surcoût constituait un avantage sans contrepartie transféré à ses filiales.
Le Tribunal administratif de Montreuil, en mai 2023, a partiellement donné raison à A sur des points techniques mais a validé le principe des deux rehaussements.
La société A a fait appel de la décision.
- Sur le premier point, A soutenait que HF BV n'était pas soumise à un régime fiscal privilégié si l'on prenait en compte l'ensemble de sa charge fiscale, incluant les versements à SGI UK. Subsidiairement, elle invoquait la clause de sauvegarde européenne, arguant que le montage répondait à des finalités économiques réelles et ne constituait pas un montage purement artificiel : l'obtention d'un financement majeur de 673 M£ à un taux exceptionnellement bas de 0,5 %.
- Concernant l'article 57 du CGI, A justifiait les surcoûts de rémunération acceptés lors de la restructuration de ses emprunts par les avantages obtenus en termes d'allongement des échéances et d'évitement de remboursements anticipés importants.
La Cour administrative d'appel de Paris a donné entièrement raison à A, réformant le jugement de première instance
Concernant l'application de l'article 209 B, la Cour a d'abord confirmé que HF BV était effectivement soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A. Elle a clairement établi que les versements à SGI UK en contrepartie du transfert de déficits ne peuvent être assimilés à des impositions, s'agissant de sommes versées à une personne morale de droit privé en vertu d'accords contractuels librement conclus.
Cependant la Cour a considéré que la clause de sauvegarde européenne trouvait à s'appliquer. Analysant la finalité réelle du montage, elle a relevé qu'il avait permis à A d'obtenir un financement important de 673 M£ à des conditions particulièrement avantageuses. Cette contrepartie économique substantielle, indépendante de l'optimisation fiscale, suffisait selon la Cour à écarter la qualification de montage purement artificiel.
Cet objectif économique et financier, tangible et significatif, confère une substance propre à l'opération qui dépasse la simple recherche d'une économie d'impôt. La Cour en conclut que le montage ne peut être regardé comme ayant eu pour but exclusif de contourner la loi fiscale française. La clause de sauvegardede l'article 209 B-II trouve donc à s'appliquer, ce qui fait obstacle à la taxation des bénéfices de HF BV en France.
Concernant le second rehaussement, relatif à la déduction des charges financières, la Cour adopte également une approche économique pragmatique. Face à l'argument de l'administration fondé sur une simple comparaison avec le taux de marché pour un nouvel emprunt, la Cour considère que la restructuration des prêts existants offrait des contreparties réelles à Axa : l'allongement de la maturité des dettes et, surtout, la possibilité d'éviter d'importants mouvements de trésorerie liés au remboursement anticipé des anciens prêts et à la souscription de nouveaux. Ces avantages justifiaient le supplément de rémunération consenti aux filiales prêteuses. La Cour écarte donc l'application de l'article 57 du CGI, ainsi que le fondement subsidiaire de l'acte anormal de gestion (article 39) invoqué par le ministre, pour les mêmes motifs.
TL;DR
La Cour rappelle que la recherche d'un avantage fiscal, même prépondérante, ne suffit pas à caractériser un montage d'artificiel dès lors qu'il est sous-tendu par une opération économique réelle et rationnelle, telle que l'obtention d'un financement significatif à des conditions avantageuses.
La décision souligne que l'administration ne peut pas se contenter de relever la complexité d'un schéma pour en déduire son artificialité ; elle doit démontrer l'absence de toute justification économique autre que fiscale.