Le juge de l'impôt nous rappelle que le droit à la déduction de la TVA, corollaire de son principe de neutralité, ne saurait prospérer en dehors du strict respect des règles de procédure. En l'espèce, une société européenne se voit refuser le remboursement d'un crédit de TVA pour avoir utilisé la mauvaise procédure de demande, se retrouvant ainsi forclose pour exercer son droit par la voie qui lui était légalement impartie.
Le droit de l'Union européenne et sa transposition dans notre droit français organisent deux régimes de remboursement de crédit de TVA, exclusifs l'un de l'autre, selon la situation de l'assujetti.
La première voie, dite "normale", est régie par l'article 271 du CGI. Elle s'adresse aux assujettis qui sont redevables de la TVA en France. Ces derniers imputent la TVA déductible sur la TVA collectée via leurs déclarations périodiques (CA3) et, en cas d'excédent, peuvent en demander le remboursement.
La seconde voie, dite "dérogatoire", est issue de la directive 2008/9/CE (dite "8ème directive"). Elle est spécifiquement conçue pour les assujettis établis dans un autre État membre qui ne réalisent en France aucune opération pour laquelle ils sont redevables de la taxe (notamment car le mécanisme de l'autoliquidation par le preneur s'applique). Transposée aux articles 242-0 M et suivants de l'annexe II au CGI, son accès est strictement conditionné. L'article 242-0 O de l'annexe II au CGI dispose que durant la période de remboursement, l'assujetti ne doit avoir réalisé en France aucune livraison de biens ou prestation de services, à l'exception d'une liste limitative d'opérations (notamment des services de transport exonérés ou des opérations pour lesquelles la taxe est autoliquidée par le preneur). La demande doit être soumise via un portail électronique dans l'État d'établissement de l'assujetti, et ce, avant une date butoir impérative : le 30 septembre de l'année civile suivant la période de remboursement. Ce délai est un délai de forclusion.
Rappel des faits :
La société AW, dont le siège est en Allemagne, exerce une activité de développement de projets éoliens. Elle a fourni des prestations de services à sa filiale française, la SARL W. En application des règles de territorialité et du mécanisme d'autoliquidation (article 283, 2 du CGI), la TVA afférente à ces prestations était due en France par le preneur, la filiale française, et non par le prestataire allemand.
En conséquence, la société AW n'était pas redevable de la TVA en France et aurait dû solliciter le remboursement de la TVA ayant grevé ses dépenses en France via la procédure dérogatoire de la directive 2008/9/CE. Or, elle s'est immatriculée à la TVA en France et a déposé des déclarations selon la voie "normale", demandant par ce biais le remboursement de son crédit de TVA au titre du 4ème trimestre 2018. L'administration fiscale a rejeté cette demande comme irrecevable, au motif que la société n'était pas éligible à cette procédure. Au moment de ce rejet, le délai de forclusion du 30 septembre 2019 pour utiliser la bonne procédure était expiré.
Le Tribunal administratif de Montreuil ayant confirmé la position de l'administration, la société a fait appel.
Devant la Cour, la société AW s'est prévalue de la violation des principes cardinaux du droit de l'Union : neutralité, sécurité juridique, confiance légitime, liberté d'établissement et de prestation de services.
La Cour vient de rejeter la requête de la société AW
- La Cour confirme que le choix de la procédure n'était pas une option. La société n'étant pas redevable légal de la TVA en France, elle était tenue d'utiliser la procédure dérogatoire. Le fait qu'elle ait mentionné par erreur de la TVA sur ses factures ne pouvait la rendre redevable et donc éligible à la procédure normale.
- Elle estime que le principe de neutralité de la TVA, s'il garantit le droit à déduction, n'interdit pas aux États membres d'instaurer des délais de forclusion raisonnables pour l'exercice de ce droit. Un tel délai est une mesure nécessaire à la sécurité juridique qui sanctionne le contribuable manquant de diligence. La perte du droit à remboursement n'est donc pas la conséquence d'une violation du principe de neutralité, mais de la propre négligence de la société.
- Enfin la Cour souligne que les règles issues de la 8éme directive étaient claires, prévisibles et en vigueur depuis près de dix ans. Une entreprise d'une telle envergure ne pouvait valablement prétendre les ignorer. De même, le fait que l'administration ait pu, par erreur, accorder des remboursements par le passé ne crée aucune confiance légitime pour l'avenir.
Enfin, les arguments tirés de la violation des libertés de circulation (établissement et services) ont été jugés inopérants. La Cour estime que les règles procédurales de remboursement n'entravent pas l'accès au marché français. Elles ne font qu'organiser, a posteriori, le traitement fiscal d'opérations déjà réalisées, et la différence de traitement entre résidents et non-résidents se justifie par leurs situations objectivement différentes.
Le droit à restitution de la TVA, bien que fondamental, est conditionné par le respect de règles procédurales impératives.
L'erreur dans le choix de la procédure de demande, si elle conduit à dépasser un délai de forclusion, entraîne la perte définitive et irrémédiable du droit, sans qu'il soit possible de se réfugier derrière le principe de neutralité.