S'inscrivant dans le prolongement de la jurisprudence européenne le juge de l'impôt adopte une conception large des "opérations portant sur les titres" pouvant bénéficier de l'exonération de TVA et étend cette qualification à des opérations qui, sans transférer la propriété des titres, modifient substantiellement les droits qui y sont attachés.
Le régime de location d'actions, introduit dans le code de commerce à l'article L. 239-1, permet aux sociétés par actions ou aux SARL soumises à l'IS de donner à bail leurs actions ou parts sociales au profit d'une personne physique. Ce mécanisme confère au locataire des droits spécifiques, notamment le droit de percevoir des dividendes et un droit de vote partagé avec le bailleur.
En matière de TVA, le cadre juridique repose sur :
- L'article 9 de la directive 2006/112/CE définissant les notions d'assujetti et d'activité économique
- L'article 135 de cette même directive prévoyant l'exonération de certaines opérations financières, notamment celles portant sur les actions et parts sociales
- L'article 256 du CGI définissant le champ d'application de la TVA
- L'article 261 C-1°-e du CGI qui exonère les opérations portant sur les actions et autres titres
La question centrale posée au juge était de déterminer si la location d'actions constitue une prestation de services soumise à TVA ou une opération exonérée au titre des opérations portant sur des titres.
Rappel des faits :
La société C France a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2014 au 30 novembre 2016. À l'issue du contrôle, l'administration fiscale a considéré que la location d'actions qu'elle consentait à des personnes physiques constituait une opération imposable à la TVA. Elle a donc procédé à un rappel de TVA correspondant aux loyers perçus à ce titre.
La société a contesté ce redressement devant le TA de Paris, qui a rejeté sa demande par jugement du 20 juin 2023. Elle a ensuite fait appel devant la Cour Administrative d'Appel de Paris.
La société C France soutient que :
- La location d'actions doit être appréciée au regard des règles fiscales et non des règles nationales définissant la nature des opérations
- Le contrat de location confère un droit réel au locataire
- Il s'agit d'une opération financière au sens de l'article 261 C du CGI
- Cette opération est sans lien avec la transmission d'actions
- À titre subsidiaire, il s'agit d'une opération portant sur une créance exonérée
L'administration fiscale, quant à elle, considére que la location d'actions constitue une prestation de services imposable, effectuée par un assujetti agissant en tant que tel, et ne peut bénéficier de l'exonération prévue pour les opérations portant sur des titres.
La Cour vient de faire droit à la demande de C France.
- Elle a d'abord confirmé que les locations d'actions consenties aux salariés dans le cadre de la politique de personnel de l'entreprise constituent des prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel, entrant dans le champ d'application de la TVA. La Cour a notamment relevé que ces opérations s'inscrivent dans un objectif d'entreprise visant à faire converger l'intérêt des salariés avec celui des actionnaires.
- Toutefois, la Cour a ensuite examiné si ces opérations pouvaient bénéficier de l'exonération prévue par l'article 261 C-1°-e du CGI. S'appuyant sur la jurisprudence de la CJCE (arrêt CSC Financial Services Ltd du 13 décembre 2001), elle a considéré que les termes "opérations portant sur les titres" visent des opérations susceptibles de créer, de modifier ou d'éteindre les droits et obligations des parties sur des titres.
L'arrêt de la CJCE concerne l'interprétation de l'article 13-B-d-5, de la directive TVA, dans un litige opposant les Commissioners of Customs & Excise à CSC Financial Services Ltd. La question portait sur l'assujettissement à la TVA des services de "call center" fournis par CSC à Sun Alliance pour un produit d'investissement. La Cour a établi que les "opérations portant sur les titres" sont celles susceptibles de créer, modifier ou éteindre des droits et obligations des parties sur des titres. Elle a précisé que la "négociation portant sur les titres" n'inclut pas les services limités à fournir des informations sur un produit financier et à traiter des demandes de souscription sans émettre les titres. La fourniture d'une simple prestation matérielle, technique ou administrative sans modifications juridiques et financières n'est pas couverte par l'exonération prévue à l'article 13 précité.
La Cour a jugé que la location d'actions, qui crée pour le locataire un droit à la perception de dividendes et un droit de vote partagé, en contrepartie d'un droit à la perception d'un loyer pour le bailleur, et qui prive ce dernier de droits dont il était à l'origine titulaire, modifie de manière directe la relation juridique représentée par le titre.
Elle a donc conclu que la location d'actions devait être regardée comme une opération portant sur des titres au sens de l'article 261 C-1°-e du CGI, et qu'elle était par conséquent exonérée de TVA.