Projet de loi sur l’Economie Sociale et Solidaire : un texte contre-productif en l'état

03/02/2014 Par Jacques Goyet
8 min de lecture

 

Contexte : Le Projet de loi sur l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) présenté le 24 juillet dernier par Benoit Hamon institue un droit d’information préalable pour les salariés en cas de cession de leur entreprise. Il s’agit, pour le ministre chargé de l’économie sociale et solidaire d’encourager la transmission d’entreprises saines aux salariés, et d’aider le cédant à trouver une solution de reprise. En pratique, les article 11 et 12 du projet de loi crée, pour les entreprises de moins de 50 salariés, un délai d’information préalable des salariés avant toute cession d’entreprise, de participation majoritaire au capital d’une SARL, d’actions ou de valeurs mobilières donnant accès au capital d’une société par actions. Ce délai est fixé à 2 mois à partir de la notification de l’intention de vendre, afin de permettre à un ou plusieurs salariés de l’entreprise de présenter une offre.

Nous avons contacté Me Jacques Goyet, responsable du département Fusions & Acquisitions / Droit des sociétés du cabinet BIGNON LEBRAY, afin qu’il nous livre notamment ses impressions sur ces articles 11 et 12 adoptés par le Sénat en première lecture le 7 novembre dernier.

 

Fiscalonline : Bonjour Maitre Goyet, pouvez- vous vous présenter ?

M°Jacques Goyet : Bonjour, je suis avocat depuis 1985 et j’anime le département « fusions et acquisitions » du cabinet BIGNON LEBRAY depuis 1990. Mon cabinet, qui compte 70 avocats répartis sur ses bureaux de Paris, Lille, Lyon, Aix-Marseille et Shanghai, est l’un des cabinets leader sur le marché du conseil en matière de transmission de PME et notamment pour les entreprises familiales.

Fiscalonline : Pouvez-vous nous rappeler, en pratique ce que créé le projet de Loi et plus particulièrement les articles 11 et 12

M°Jacques Goyet : En réalité, il faut distinguer deux aspects.

Tout d’abord, dans son article 11A, le projet de loi ESS créé « un dispositif d’information des salariés sur les possibilités de reprise d’une société par les salariés » . Le texte prévoit que cette information soit organisée au moins une fois tous les trois ans, mais ni le contenu, ni les modalités, ni même le responsable de la diffusion de cette information ne sont définis par le texte.

Tout cela est renvoyé à un décret d’application. Il est donc trop tôt pour en parler . Il faut seulement espérer que cette obligation ne créera pas de nouveaux coûts mis à la charge des PME qui n’ont pas besoin de cela.

Ensuite, et c’est l’objet principal de votre question, les articles 11 et 12 du projet de loi créent une obligation d’information préalable des salariés par le propriétaire de l’entreprise en cas de projet de cession de celle-ci. L’article 11 s’applique aux cessions qui prennent la forme de cession de fonds de commerce et l’article 12 à celles qui se traduisent par la cession des actions ou des parts d’une société. Que la cession prenne l’une ou l’autre de ces deux formes juridiques possibles, le mécanisme est le même :

  • obligation d’informer chaque salarié deux mois au moins avant la cession ;

  • nullité de la cession si le vendeur et l’acquéreur ne sont pas en mesure de prouver qu’ils ont informé chaque salarié de leur projet de cession deux mois à l’avance ou que tous les salariés, dûment informés, ont expressément renoncé à présenter une offre de reprise si l’on souhaite abréger ce délai.

 

Fiscalonline : Si l’objectif affiché par le Gouvernement, avec cette mesure, est « d’empêcher la disparition d’entreprises saines, faute de repreneurs », la solution proposée ne fait-elle pas peser sur les entreprises une charge disproportionnée, comme le souligne le sénateur Bruno Retailleau auteur d’un amendement de suppression ?

M°Jacques Goyet : Remarquons d’abord que si l’objectif est celui que vous indiquez, il est complètement manqué. Le projet de loi ne vise que les cas où il y a un projet de cession de l’entreprise et donc en réalité un repreneur pressenti ! Au lieu d’éviter que les entreprises ne disparaissent « faute de repreneurs », elle compliquera la transmission quand il existe un possible repreneur. C’est incompréhensible.

 

En réalité tout se passe comme si le législateur avait confondu « cessation d’entreprise » et « cession d’entreprise ». Quand un entrepreneur souhaite arrêter son activité (fermeture du fonds de commerce ou liquidation amiable de sa société), il serait peut être légitime de l’obliger à procéder à une ultime vérification : qu’aucun de ses salariés ne souhaite reprendre l’entreprise avant qu’elle ne disparaisse. Mais, en l’état, le texte est contre-productif et ne vise pas la cessation d’entreprise, il ne va que créer de nouvelles contraintes quand le chef d’entreprise aura trouvé un repreneur possible.

Il est donc souhaitable de supprimer ce texte tel qu’il est rédigé.

De façon plus générale, à l’heure où la volonté affichée est de simplifier le fonctionnement des PME, on ne peut qu’être inquiet face à ce projet qui compliquera davantage la transmission des PME qui représente déjà une période très difficile dans la vie de celle-ci.

Fiscalonline : Cette nouvelle procédure ne risque t’elle pas d’être contreproductive et paralyser l’ensemble des cessions d’entreprises ?M°Jacques Goyet :  Comme je l’ai dit, cette procédure nouvelle, si elle est imposée par la loi, serait effectivement contreproductive puisqu’elle aboutirait à créer de nouvelles contraintes pour l’entreprise qui aura trouvé un repreneur et non pas dans le cas ou elle risquerait de disparaître, faute de repreneur.

De plus, tous les praticiens de la cession de PME savent que l’un des facteurs clef de succès d’une transmission est bien souvent la préservation de la confidentialité jusqu’à la réalisation de la cession. Confidentialité pour éviter que les salariés ne soient stressés par la perspective d’un changement de direction et que les meilleurs élément ne quittent l’entreprise avant la réalisation de la cession ; confidentialité vis-à-vis des concurrents qui ne seraient que trop ravis de répandre sur le marché la nouvelle que « l’entreprise X est à vendre » et de récupérer ainsi les clients inquiets…

Le texte impose une obligation de discrétion aux salariés , mais croire qu’un projet de cession puisse rester confidentiel, quand il doit être annoncé à tous les salariés deux mois à l’avance, est une pure vue de l’esprit.

D’autant plus que l’objectif de l’information préalable est de permettre à chaque salarié de monter un projet de reprise.

Comment monter un tel projet sans trouver des associés, des prêteurs, des conseils à qui il faudra bien parler de l’entreprise à vendre ? D’ailleurs, le texte indique différents organismes (chambre de commerce, etc.) qui pourront aider les salariés dans leur élaboration d’une offre. Autant dire que le projet de cession sera public deux mois avant toute cession.

Sans évoquer le risque de contentieux dans la mesure ou il est impossible de démontrer, que chaque salarié a bien reçu notification du projet de cession. Que se passerait-t-il dans le cas ou un salarié aurait proposé une offre de reprise plus élevée que celle retenue par le chef d’entreprise ?

Fiscalonline : Etes vous favorable à la suppression de ces articles ?

M°Jacques Goyet : Oui, je suis favorable à la suppression de ces articles.

Je crois qu’il serait raisonnable de faire confiance aux chefs d’entreprises dans les PME de moins de 50 salariés pour savoir quand une reprise de leur entreprise par un ou plusieurs de leurs salariés est possible et aux salariés pour s’ouvrir au chef d’entreprise d’un tel projet quand ils en ressentent l’envie.

Il n’y a d’ailleurs eu aucune analyse réelle des causes des disparitions des « entreprises viables » que le texte entend combattre.

Fiscalonline : La Loi de Finances pour 2014 a, de nouveau, aménagé le régime fiscal des plus-values mobilières en cas de cession d’entreprise. Ce régime fiscal est-il de nature à favoriser la transmission d’entreprises ?

M°Jacques Goyet : Oui. En effet, le nouveau régime est favorable aux PME car il avantage les vendeurs qui ont détenu leur entreprise sur une longue période. C’est souvent le cas dans les entreprises familiales.

Ce régime constitue plutôt une bonne nouvelle mais il ne faudrait pas qu’il change à nouveau dans quelques mois.

 

Fiscalonline : Comment se porte le marché des Fusions & Acquisitions (Année 2013 et perspectives 2014) ?

M°Jacques Goyet : Ce marché devrait plutôt s’améliorer en 2014. Le retour de la croissance, même timide, constitue plutôt une bonne nouvelle après des années 2012/2013 de grande inquiétude.

Encore faut-il ne pas casser ce retour relatif au calme par de nouvelles contraintes juridiques ou un nouveau regain d’instabilité fiscale.

En ce sens, les articles 11 et 12 du projet ESS ne constituent pas une bonne nouvelle.

Fiscalonline : Merci pour vos réponses et votre disponibilité.

M°Jacques Goyet : Je vous remercie.

Propos recueillis le 6 janvier 2014 ©2014 fiscalonline.com

Entretien avec Jacques GOYET, responsable du département Fusions & Acquisitions / Droit des sociétés du cabinet BIGNON LEBRAY

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