Hokusai : la Grande Vague et au-delà

06/09/2023 Par Artprice
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Quand j’aurai cent ans, je tracerai une ligne et ce sera la vie.” (Katsushika Hokusai)

 

HOKUSAI est mort à 89 ans, sans pouvoir atteindre son objectif : tracer la vie elle-même en traçant un trait. Le “Vieux Fou de dessin”, comme il se surnommait lui-même, a laissé derrière lui une œuvre prolifique de 30 000 dessins, influencé les plus grands artistes modernes européens, initié le Manga et la bande dessinée. Il a ouvert un continent esthétique nouveau, abordé divers sujets du mouvement Ukiyo-e (Images du monde flottant en japonais) dont des scènes de vie, des sumos, du théâtre kabuki, des scènes érotiques, des fantômes et autres démons. L’immense graveur, dessinateur, peintre et écrivain né en 1760 à Edo (le Tokyo actuel) ne se résume donc pas à La Grande Vague de Kanagawa, cette Joconde de l’art asiatique reproduite des millions de fois, dont les plus belles épreuves attisent plus que jamais le feu des enchères.

La Joconde de l’art asiatique

 

Hokusai crée La Grande Vague de Kanagawa en 1831 pour initier sa série des Trente-six vues du Mont Fuji, cône volcanique sacré pour les japonais. On ne sait pas combien de copies de cette image ont été réalisées, ni combien sont encore en circulation. On sait cependant que lorsque La Grande Vague de Kanagawa commence à circuler sur le marché européen vers le milieu ou la fin du 19e siècle, elle bouleverse d’emblée des artistes tels que Claude Monet et Vincent Van Gogh, puis devient l’une des images les plus populaires au monde. Une popularité plus phénoménale aujourd’hui que jamais puisque, “tandis que la Jeune fille à la perle de Vermeer affiche 1 450 000 visites dans Google, et les Tournesolsde Van Gogh 5 530 000, Guernica de Picasso 12 500 000 et Snoopy 73 700 000, la Joconde les bat tous avec 129 000 000 visites. Néanmoins, la Grande Vague restera à jamais, imbattable avec ses 1 040 000 000 hits”. Cette mise au point a été publiée par Christie’s pour sa vente, le 21 mars 2023, de l’une des plus belles versions en circulation de La Grande Vague (Kanagawa oki nami ura).

 

Une épreuve d’une qualité et d’une fraîcheur remarquables pour laquelle six enchérisseurs ont poussé le prix à 2,76m$, bien au-delà de l’estimation première annoncée entre 500 000 et 700 000$. Le record de La Vaguegrimpait alors de plus d’un million de dollars, Christie’s en ayant cédé une autre planche au prix de 1,59m$ en 2021.

 

Evolution du record d’Hokusai aux enchères, en millions de dollars (copyright Artprice.com)

 

Malgré un nombre d’impressions difficile à appréhender, la Vague est définitivement l’œuvre la plus recherchée et la plus cotée d’Hokusai. C’est une icône, l’emblème du génie de l’artiste. C’est aussi une œuvre qui fait la synthèse de beaucoup de choses dans l’histoire de l’art en Asie comme à l’échelle mondiale. Par exemple, elle intègre une nouveauté occidentale : le bleu de Prusse. Ce produit d’importation assez coûteux était recherché à l’époque d’Hokusai pour son intensité et pour le maintien de sa vivacité avec le temps. Si l’on retrouve ce prestigieux bleu dans les autres planches des 36 vues du Mont Fuji, l’ampleur de sa présence et la subtilité de ses nuances comptent parmi les facteurs déterminants des prix atteints par les gravures.

 

Le bleu fait la cote dans La Passe de Mishima

 

Dans La Passe de Mishima dans la province de Kai : bleu est le grand cèdre du premier plan que les pèlerins embrassent jusqu’à se fondre à l’écorce, rendant hommage à l’arbre selon la tradition shintoïste, qui attribue un esprit divin aux forces de la nature. La Passe de Mishima dans la province de Kai est une planche très rare : seules 20 épreuves sont passées aux enchères au cours des 40 dernières années et les prix ont fortement augmenté avec le temps. L’estampe atteignait déjà 10 000$ au début des années 1990, une période faste durant laquelle les collectionneurs japonais se montraient très actifs sur le marché international. Aujourd’hui, les épreuves les plus bleues (celles où la zone du ciel est le plus largement marquée) dépassent les 50 000$. Un record a d’ailleurs été établi à 62 500$ en septembre 2021 chez Christie’s (New York) pour une planche dont le dégradé bleu du ciel est presque aussi important que sur la plus belle épreuve du Metropolitan Museum de New York, qui en possède deux exemplaires.

 

Les histoires de fantômes sortent de l’ombre

La série des Cent histoires de fantômes est un pan moins connu de l’œuvre d’Hokusai. Elle fut pourtant réalisée en même temps que les fameuses vues du Mont Fuji. Les fantômes et démons de cette courte série de cinq estampes comptent parmi des plus belles œuvres de sa carrière. Ils illustrent les superstitions de l’époque Edo qui se racontaient autour d’un jeu pratiqué la nuit, consistant à se raconter des histoires de fantômes et autres anecdotes surnaturelles à la lumière de cent bougies, soufflées une à une après chaque récit. Une fois toutes les bougies soufflées, des événements étranges étaient censés se produire… Hokusai a magistralement donné corps au folklore des yurei et des yokai, fantômes et démons qui n’avaient été décrits qu’oralement jusqu’à ce que l’artiste en publie une précieuse série, représentant cinq histoires différentes. L’une des plus fascinantes est celle du fantôme de Kohada Koheiji regardant au-dessus de la moustiquaire sous laquelle dort son meurtrier. L’estampe d’Hokusai révèle l’image terrifiante de l’acteur Kohada Koheiji émergeant lentement des profondeurs du marais dans lequel il a été jeté par sa propre femme, Adachi, et l’amant de celle-ci, Otsuki.

 

Hokusai, Kohada Koheiji

 

Cette planche est aussi une absolue rareté car seuls huit fantômes de Kohada Koheiji sont apparus sur le marché des enchères depuis les années 1980. La dernière fois que l’une d’elle fut présentée en salle, en 2020, elle soulevait les enchères à plus de 32 000$ malgré une estimation initiale autour de 15 000$ (Sotheby’s Londres). Les autres planches de la série des fantômes reçoivent un même enthousiasme, avec deux nouveaux records cette année : l’un pour Le Serpent de Memorial Anniversary qui a obtenu près de 42 000$ chez Beaussant-Lefèvre à Paris en avril dernier, soit plus de dix fois son estimation haute; l’autre pour Démone féminin riant(Warai Hannya), vendue 58 600$ lors de la même vacation contre une estimation haute donnée à 8 000$. En décidant de se battre plus fermement pour ces estampes de fantômes aussi rares qu’extraordinaires, les collectionneurs les font sortir de l’ombre. L’engouement révèle aussi une hausse des prix attendue, suivant la ré-appréciation de tout l’œuvre d’Hokusai, dont trois Vagues de Kanagawa ont remporté des résultats millionnaires au cours des trois dernières années.

 

Preuve s’il en faut que l’œuvre d’Hokusai reste bien vivante : un superbe film sur sa vie est sorti en salles au printemps dernier. On le découvre en travailleur acharné au talent fou, impétueux, farouchement indépendant, avec ce fameux bleu de Prusse dont il s’asperge sous une pluie battante.

 

 

Communiqué d'Artprice