L’histoire d’une œuvre ne se limite pas à son créateur ou à sa technique. Une redécouverte inespérée, une provenance illustre ou une réattribution peuvent faire basculer sa valeur. Ce supplément d’âme, captivant pour les amateurs et les enchérisseurs, contribue à transformer l’œuvre en trésor absolu.

 

Un chef-d’œuvre oublié dans un grenier, une attribution corrigée après des décennies d’incertitude, une pièce restituée après une spoliation… Chaque œuvre porte en elle une histoire qui peut bouleverser son destin sur le marché. De Caravage à Camille Claudel, en passant par Cimabue et Cézanne, retour sur quelques œuvres dont le récit a contribué à redéfinir la valeur.

 

Le frisson de la découverte

Il y a toujours un frisson liée à une redécouverte et la possibilité que le marché s’emballe pour une pièce insoupçonnée dont on ignorait jusqu’à l’existence ou pour un tableau dont le propriétaire en ignorait totalement la valeur. Pendant des décennies voire des générations, les gens peuvent passer à côté de petits chefs-d’œuvre sans les reconnaître…

L’histoire récente a prouvé que l’impossible était possible, avec la redécouverte d’un exceptionnel Caravage dans un grenier du sud de la France en 2019 où, plus récemment, un bronze historique de Camille Claudel oublié dans un appartement parisien à l’abandon. Retour sur des résurgences inespérées qui ont électrisé le marché de l’art ces dernières années.

 

Le Caravage de Toulouse

Les redécouvertes inattendues dans des appartements parisiens ou des maisons de province restent l’un des grands frissons du marché français. Le territoire regorge de trésors oubliés, relégués dans les greniers ou disparus de la mémoire familiale. L’un des cas les plus spectaculaires reste celui du « Caravage de Toulouse » : une Judith décapitant Holopherne retrouvée en 2014 dans le grenier d’une maison toulousaine.

 

Expertisé en 2016 comme une œuvre de Caravage (1571-1610) par le cabinet d’Eric Turquin – malgré des avis divergents l’attribuant à Louis Finson (1580-1617), peintre flamand et proche du maître italien –, ce tableau crée une onde de choc sur le marché : un Caravage disponible sur le marché, cela n’existe pas. L’émotion est telle qu’Eric Turquin déclare : « Si j’avais pu choisir de retrouver une œuvre parmi toutes celles perdues au fil de l’Histoire, j’aurais choisi celle-là, sans hésitation. »

 

Estimée entre 100 et 150 millions de dollars, l’œuvre devait être vendue aux enchères en juin 2019. Elle aurait pulvérisé tous les records en France… si elle n’avait finalement été cédée de gré à gré à J. Tomilson Hill, grand collectionneur et membre du conseil d’administration du MET à New York. Une vente silencieuse, mais historique.

 

Eric Turquin est aussi à l’origine d’une autre redécouverte majeure : Le Christ moqué de CIMABUE (c.1240/50-c.1302), repéré par hasard lors d’un déménagement à Compiègne. Mis aux enchères à Senlis en 2019, le panneau s’envole à 21,6 m$, soit +227 % au-dessus de son estimation haute (6,6 m$). Une somme vertigineuse, aussi portée par l’importance exceptionnelle de la découverte : les deux autres panneaux connus faisant pendants à cette œuvre se trouvent à la National Gallery de Londres et à la Frick Collection de New York.

 

Le Caravage de Toulouse

Michelangelo Merisi IL CARAVAGGIO (1570/71-1610)

Judith et Holopherne (c.1607). Huile/toile, 144 x 173,5 cm

Estimation: 113 664 000 $ – 170 496 000 $. Non présenté

Marc Labarbe, Toulouse (France), 27/06/2019

 

La résurgence de trésors oubliés rappelle que le rôle des maisons de ventes ne se limite pas à la seule mise en marché : elles sont aussi des révélateurs d’œuvres. Experts et commissaires-priseurs en province le savent aussi bien que les grandes maisons parisiennes, qui multiplient les partenariats locaux ou nomment des représentants régionaux pour élargir leur maillage. Début 2025, Christie’s a d’ailleurs renforcé sa présence dans le Grand Est en nommant un nouveau délégué régional, Olivier Scherberich. Objectif affiché : faire émerger d’autres pépites endormies.

Camille de Foresta, Vice-Présidente de Christie’s France, Commissaire-priseur, Directrice du développement régional : « À travers ces nouvelles collaborations, Christie’s France souhaite se rendre plus accessible aux collectionneurs. Les journées d’expertise réalisées avec l’hôtel des ventes Marambat-de Malafosse, par exemple, ont donné lieu à de très belles découvertes et ventes, telle celle du Saint-Jérôme de Ribera estimé 500 000-800 000 € et vendu plus de 2 millions d’euros. Bien souvent, les familles ignorent la valeur des biens qu’elles possèdent, oubliés dans un tiroir ou dormant dans un grenier. Ces journées offrent au public la possibilité de découvrir l’importance inestimée et improbable de certains objets. Aux spécialistes ensuite de proposer, tel un chef d’orchestre, le lieu de vente le plus stratégique ».

Un Titien retrouvé à un arrêt de bus

Quittons un instant la scène française pour une découverte des plus inattendues outre-Manche : celle d’un Titien, Le Repos pendant la fuite en Égypte, retrouvé… à un arrêt de bus londonien. Volée dans les années 1990 au marquis de Bath, l’œuvre réapparaît sept ans plus tard, glissée dans un simple sac abandonné.

Cette rocambolesque résurgence, rendue possible grâce à l’enquête acharnée d’un détective d’art, confère à la toile une aura unique. Et c’est bien cette histoire hors normes qui électrise le marché : en juillet 2024, l’œuvre décroche un nouveau record mondial pour Titien chez Christie’s Londres, s’envolant à 22,2 m$.

Un montant d’autant plus saisissant que l’ancien record, établi en 2011 chez Sotheby’s à 16,8 m$, concernait une œuvre trois fois plus grande. Mais ici, la véritable démesure réside dans le récit. Ce n’est pas seulement un chef-d’œuvre de Titien : c’est un tableau miraculé, au destin cinématographique. Et cette épopée moderne lui ajoute encore de la valeur.

 

Titien

TIZIANO VECELLIO (1485-1576)

The Rest on the Flight into Egypt. Huile/toile/panneau, 46,2 x 62,9 cm

Christie’s, Londres, 02/07/2024. Prix : 22,24 m$

 

L’histoire du bronze “inconnu” de Camille Claudel

C’est LA redécouverte de ce début d’année 2025. Disparu pendant plus d’un siècleL’Âge mûr, œuvre mythique de Claudel, a ressurgi dans un appartement parisien inhabité depuis plus de 15 ans, au pied de la tour Eiffel.

L’histoire a tout pour plaire : le bronze, resté caché sous un drap toutes ces années, n’avait même pas été identifié comme une œuvre de Claudel lors de l’inventaire. Cette redécouverte saisissante prend aussi une dimension historique : cet exemplaire, numéroté “1”, marque le début du tirage d’une œuvre majeure, conçue après la rupture de Claudel avec Rodin.

L’émotion de cette résurgence s’est traduite en salle des ventes : chez la société de ventes aux enchères Philocale à Orléans, le prix a pulvérisé les attentes, atteignant 3,8 m$ le 16 février 2025 contre une estimation haute de 2,1 m$. Un record français et la deuxième meilleure enchère mondiale pour l’artiste, confirmant l’impact du principe de rareté combiné à l’effet du trésor caché.

Si l’effet de redécouverte peut créer la surprise, une provenance impeccable, enrichie d’un parcours prestigieux entre des mains célèbres, constitue un puissant levier de valorisation pour une œuvre.

 

Une provenance en or : Cézanne et la magie de la collection Paul Allen

La provenance joue un rôle déterminant lorsqu’elle est liée à une illustre collection, comme celles de Pierre Bergé ou des Rothschild. Le prestige de la provenance d’une œuvre d’art agit comme un sceau de qualitérenforçant sa crédibilité et sa désirabilité auprès des collectionneurs. En liant l’œuvre à une histoire, un ancien propriétaire prestigieux ou une exposition marquante, elle gagne en aura et en valeur économique, transformant l’achat en une acquisition stratégique et émotionnelle.

Un des exemples les plus spectaculaires est sans doute celui de La Montagne Sainte-Victoire de Paul Cézanne. En 2001, l’œuvre est acquise pour 38,5 m$ lors de la vente des œuvres de Heinz Berggruen par Phillips. Mais en novembre 2022, lors de la prestigieuse vente de la collection Paul Allen chez Christie’s, la toile atteint 137,79 m$, réalisant une plus-value de près de 100 millions en une vingtaine d’années.

Pourquoi un tel écart ? Au-delà de la qualité intrinsèque de l’œuvre, de la raréfaction des beaux tableaux de Cézanne sur le marché et du contexte de ferveur du marché haut de gamme juste après les restrictions de la crise sanitaire, le passage de ce tableau dans la collection de Paul Allen, cofondateur de Microsoft et collectionneur extrêmement bien conseillé, lui a conféré une aura exceptionnelle. Cette vente a marqué un tournant dans l’histoire des enchères, avec des acheteurs prêts à surenchérir de plusieurs dizaines de millions au-delà du précédent record de Cézanne, pour accéder à un pan de l’héritage Allen.

 

Cézanne

Paul CÉZANNE (1839-1906)

La Montagne Sainte-Victoire (1888-1890). Huile/toile, 65,2 x 81,2 cm

Visionary: The Paul G. Allen Collection Part I

Christie’s, New York, 09/11/2022. Prix : 137,79 m$

Valoriser votre collection grâce au storytelling

Le storytelling est un levier puissant pour rendre une œuvre plus désirable et faire grimper sa valeur. Chaque collectionneur peut cultiver l’histoire de ses œuvres, en approfondissant leurs origines, en enrichissant leur parcours et en les inscrivant dans un récit plus vaste.

Faire connaître une pièce, la prêter pour des expositions, collaborer avec des curateurs ou des institutions muséales sont autant de moyens de nourrir son aura. Chaque détail, chaque anecdote tisse un lien émotionnel fort avec les amateurs et collectionneurs.

Une provenance intéressante ou une narration bien construite ne font pas qu’embellir une œuvre : elles lui confèrent une place unique sur le marché, transformant un simple objet d’art en patrimoine vivant. À vous aussi d’y participer !