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Impôt sur les sociétés

QPFC sur dividendes : la filiale suisse ne peut prétendre au traitement favorable des filiales européennes

Le juge de l'impôt confirme que les groupes multinationaux ne peuvent pas bénéficier de la neutralisation de la quote-part de frais et charges pour les dividendes provenant de filiales situées dans des États tiers à l'UE, même lorsque ces filiales rempliraient les conditions pour être membres d'un groupe fiscalement intégré si elles étaient résidentes de France.

 

À l'inverse, pour les groupes ayant des filiales dans l'UE, cette décision confirme indirectement les effets de l'arrêt Groupe Steria de la CJUE, qui permet de bénéficier de la neutralisation de la quote-part de frais et charges pour les dividendes provenant de ces filiales lorsqu'elles auraient été éligibles à l'intégration si elles avaient été résidentes de France.

 

Pour mémoire, selon l'article 216 du CGI, dans le régime mère-fille, les dividendes perçus par une société mère de ses filiales sont exonérés d'impôt sur les sociétés, sous réserve de la réintégration d'une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5% du montant des dividendes.

 

Lorsqu'une intégration fiscale est mise en place conformément aux articles 223 A et suivants du CGI, le résultat d'ensemble du groupe est déterminé par la société mère en faisant la somme algébrique des résultats de chaque société du groupe. En vertu de l'article 223 B du CGI, ce résultat d'ensemble est diminué de la quote-part de frais et charges afférente aux dividendes perçus par une société du groupe d'une autre société membre du groupe depuis plus d'un exercice. Cette neutralisation de la quote-part de frais et charges constitue un avantage significatif du régime d'intégration fiscale.

 

L'arrêt Groupe Steria SCA de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 2 septembre 2015 a jugé que l'article 49 du TFUE relatif à la liberté d'établissement s'opposait à ce que la neutralisation de la quote-part de frais et charges soit refusée pour les dividendes distribués par des filiales situées dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, auraient été objectivement éligibles au régime d'intégration fiscale.

 

Le législateur a donc étendu le bénéfice de la neutralisation aux filiales de l’Union mais non aux États tiers. 

En effet, l'article 40 de la LFR pour 2015 a aménagé le régime des groupes de sociétés codifié aux articles 223 A et s du CGI afin de mettre la législation française en conformité avec le droit européen. Il a supprimé, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016, la neutralisation de la quote-part de frais et charges du régime des sociétés mères, prévu à l'article 145 du CGI et à l'article 216 du CGI, afférente aux dividendes versés entre sociétés d'un même groupe.

 

Corrélativement, l'article 40 de la LFR pour 2015 a abaissé à 1 % le taux de la quote-part de frais et charges lorsqu'elle est afférente aux dividendes éligibles au régime des sociétés mères que perçoivent les sociétés membres d’un groupe d’autres sociétés membres du groupe, ou de sociétés établies dans un autre État de l’Union ou de l’Espace économique européen qui remplissent les conditions pour être membres du groupe hormis celle d'être soumises à l'impôt sur les sociétés en France.

 

Rappel des faits :

La société A, tête d'un groupe fiscalement intégré, a demandé la reconstitution de ses déficits reportables et la restitution des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles qu'elle a acquittées au titre des exercices clos de 2011 à 2015. Ces impositions correspondaient à l'inclusion dans leur assiette de la quote-part de frais et charges relative aux dividendes reçus de sa filiale de droit suisse, AV.

La société soutenait que le refus de neutraliser cette quote-part de frais et charges était contraire au principe de libre circulation des capitaux garanti par l'article 63 du TFUE, aux stipulations de l'accord entre la Confédération suisse et la Communauté économique européenne concernant l'assurance directe, ainsi qu'aux stipulations combinées de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et de l'article 1er de son premier protocole additionnel.

Après le rejet de sa demande par le Tribunal administratif de Montreuil le 5 novembre 2020, puis par la Cour administrative d'appel de Paris le 6 octobre 2023, la société s'est pourvue en cassation devant le Conseil d'État.

 

La société A avançait plusieurs arguments pour obtenir la neutralisation de la QPFC afférente aux dividendes reçus de sa filiale suisse.

  • elle soutenait que le refus de cette neutralisation méconnaissait la liberté de circulation des capitaux garantie par l'article 63 du TFUE, qui, contrairement à la liberté d'établissement, est applicable aux relations avec les États tiers à l'Union européenne comme la Suisse.
  • elle invoquait l'accord entre la Confédération suisse et la Communauté économique européenne concernant l'assurance directe conclu le 10 octobre 1989, qui aurait selon elle exigé un traitement non discriminatoire pour sa filiale suisse exerçant une activité d'assurance.

En troisième lieu, elle faisait valoir que la différence de traitement entre les filiales européennes et les filiales établies dans des États tiers constituait une discrimination contraire aux stipulations de l'article 14 de la CEDH combinées avec celles de l'article 1er de son premier protocole additionnel relatif au droit de propriété.

 

Le Conseil d'État vient de rejetter le pourvoi de la société Axa.

 

Concernant la liberté de circulation des capitaux

Le Conseil d'État, se fondant sur la jurisprudence de la CJUE, notamment l'arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation du 13 novembre 2012, rappelle que l'appréciation de la liberté applicable (établissement ou capitaux) dans le cas d'une participation dans une société établie dans un pays tiers dépend de l'objet de la législation nationale en cause.

Lorsqu'une législation ne s'applique pas exclusivement aux situations dans lesquelles la société mère exerce une influence décisive sur la société établie dans le pays tiers, elle doit être appréciée au regard de la libre circulation des capitaux. En revanche, lorsque la législation a seulement vocation à s'appliquer aux participations permettant d'exercer une influence certaine, c'est la liberté d'établissement qui est concernée - liberté qui ne s'étend pas aux relations avec les États tiers.

En l'espèce, le Conseil d'État juge que le régime d'intégration fiscale prévu aux articles 223 A et suivants du CGI, eu égard au seuil de détention exigé (95%), n'a vocation à s'appliquer qu'aux seules participations permettant à la société intégrante d'exercer une influence certaine sur les décisions de ses filiales membres du groupe. Il rejette l'argument de la société selon lequel les exceptions prévues pour les groupes mutualistes et coopératifs remettraient en cause cette qualification.

 

Par conséquent, la société A ne peut utilement se prévaloir de la liberté de circulation des capitaux pour contester le refus de neutralisation de la quote-part de frais et charges afférente aux dividendes versés par sa filiale suisse.

 

Concernant l'accord entre la Suisse et la CEE relatif à l'assurance directe

Le Conseil d'État examine l'objet de l'accord du 10 octobre 1989 et constate qu'il régit seulement les conditions permettant aux agences et succursales d'entreprises d'assurance d'accéder à l'activité non salariée de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie dans l'autre territoire contractant.

Considérant cet objet limité, qui vise à déterminer les conditions d'exercice de l'activité d'assurance par une agence ou une succursale (et non par une filiale), le Conseil d'État valide l'analyse de la Cour administrative d'appel selon laquelle cet accord ne peut être invoqué en l'espèce, la filiale suisse d'A n'étant ni une agence ni une succursale.

 

Sur l'invocation de la CEDH et de son protocole additionnel

 

Le Conseil d'État reconnaît l'existence d'une différence de traitement entre sociétés-mères intégrantes selon que les dividendes qu'elles perçoivent proviennent d'une filiale établie dans un État membre de l'Union européenne ou d'une filiale établie dans un État tiers, mais considère que cette différence de traitement est justifiée.

 

Il affirme d'abord que :

le respect des exigences découlant du droit de l'Union européenne constitue un objectif d'intérêt public légitime de nature à justifier une différence de traitement entre des situations comparables, selon qu'elles sont ou non régies par ces règles.

 

Il juge ensuite qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi, de sorte que la différence de traitement en cause répond à une justification objective et raisonnable et ne constitue donc pas une discrimination contraire aux stipulations combinées de l'article 14 de la CEDH et de l'article 1er de son premier protocole additionnel.

 

Cette décision doit être mise en perpective :

 

Dans l'affaire Legrand, la société s'appuyait sur une clause spécifique (article 22) de la convention fiscale franco-chilienne, non conforme au modèle OCDE, prévoyant une exonération d'impôt "dans les mêmes conditions" que si la société distributrice était française ou européenne. Le Conseil d'État a adopté une interprétation extensive de la convention fiscale, considérant que la clause d'égalité de traitement impose une neutralisation de la QPFC pour les dividendes chiliens lorsque la filiale distributrice aurait rempli les conditions d'appartenance au groupe fiscal si elle avait été établie en France.

Publié le vendredi 9 mai 2025 par La rédaction

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