Validité juridique d'une convention de prestations ayant pour effet d' « externaliser » la direction générale d'une SAS

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Point de droit des sociétés par Maîtres Olivier Greffard et Aurélie Richard du Cabinet Cornet Vincent Ségurel (bureau de Nantes), suite à un arrêt de la Cour de Cassation du 24 novembre 2015.

Les conventions dites de « management fees » sont un sujet récurrent de jurisprudence au cours des dernières années et l’arrêt du 24 novembre 2015 (i) rendue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation est l’occasion de faire un point sur les pratiques admises ou prohibées en la matière.

Les conventions dites de « management fees » sont particulièrement généralisées au sein des groupes, dans lesquels elles sont notamment mises en place afin de matérialiser la participation active de la société mère (holding) dans la conduite de la politique de son groupe et le contrôle de ses filiales et la réalisation, le cas échéant, et à titre purement interne, de services spécifiques, notamment administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers, prestations pour lesquelles la société prestataire est rémunérée par ses filiales en application de ladite convention.

Ce type de convention est par ailleurs également utilisé en pratique afin de permettre à un dirigeant de bénéficier du régime social des travailleurs non-salariés (TNS), lequel s’avère généralement moins onéreux que celui applicable aux dirigeants des sociétés par actions qui sont assimilés salariés sur le plan social. A cet effet, il est fréquent que le dirigeant d’une société par actions (SA ou SAS) constitue sa propre structure sous forme de SARL, dont il a la qualité de gérant majoritaire, et que cette dernière facture les prestations accomplies par son dirigeant à la société par actions concernée.

L’identité de dirigeant de la société prestataire et de la société bénéficiaire des prestations a cependant été source de contestation, notamment de la part de l’administration fiscale.

Compte tenu du recours généralisé au mécanisme des conventions de « management fees », la jurisprudence a ainsi eu l’occasion d’apporter un certain nombre de limites aux pratiques retenues en la matière :

  • En matière fiscale , la jurisprudence (ii) a validé, sur le fondement de l’acte anormal de gestion, la position de l’administration fiscale qui considère que sont non-déductibles les sommes versées par la société bénéficiaire à la société prestataire au titre d’une convention, dans la mesure où la seconde n’a fourni « aucune prestation de services distincte » des missions que le dirigeant (même personne dans chacune des sociétés parties à la convention) a effectuées dans le cadre normal de l’exécution de son mandat social au niveau de la société bénéficiaire.

  • En matière juridique , la Chambre commerciale de la Cour de cassation a annulé, à plusieurs reprises (iii) , pour absence de cause, des conventions portant en tout ou partie sur des prestations de direction et conclues entre deux sociétés ayant le même dirigeant. Elle a estimé en effet que ce type de convention faisait double emploi avec l’exercice des fonctions de mandataire social de la société bénéficiaire.

Afin d’échapper à cette sanction, il est devenu habituel, lorsque cela est possible, que la société prestataire soit désignée en qualité de mandataire social de la société bénéficiaire et soit rémunérée à ce titre conformément aux modalités prévues par les statuts de cette société. Cette solution est ouverte lorsque la société bénéficiaire est une société par actions simplifiée. Elle ne peut en revanche pas être appliquée si la société bénéficiaire est une société anonyme (ou bien une SARL).

L’arrêt du 24 novembre 2015 se place dans un contexte quelque peu différent de celui susvisé.

En effet, au cas particulier, et contrairement aux arrêts précédents :

  • il n’existait pas d’unité de dirigeant entre les sociétés parties à la convention, le dirigeant de la société prestataire n’étant titulaire d’aucun mandat social au sein de la société bénéficiaire.

  • la société bénéficiaire était une société par actions simplifiée (et non pas une société anonyme) dont les statuts prévoyaient la désignation d’un Président, ainsi que d’un Vice-Président, mais pas de Directeur Général.

A ce titre, la Chambre commerciale de la Cour de cassation est venue préciser la jurisprudence applicable aux conventions de « management fees », en indiquant qu’une société par actions simplifiée dont les statuts prévoient uniquement le mode de nomination de ses dirigeants (et non les modalités d’exercice de la direction générale) peut confier sa direction générale à un tiers au moyen d’une convention de prestations de services.

Par conséquent, cet arrêt du 24 novembre 2015 reconnait la validité juridique d’une convention de prestations ayant pour effet d' « externaliser » la direction générale d’une société par actions simplifiée à un tiers, sous réserve que les statuts de cette dernière n’y fassent pas obstacle.

Cet arrêt ne constitue cependant pas en tant que tel un revirement de la position précédemment adoptée (cf note 3), dans la mesure où, comme indiqué ci-dessus, il n’y avait pas en l’espèce identité de dirigeant et où la Cour fait expressément référence à l’article L. 227-5 du Code de commerce propre aux sociétés par actions simplifiées et qui précise que les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée. Cette liberté organisationnelle ne peut être étendue aux sociétés anonymes dont les modalités de direction sont déterminées par le Code de commerce.

Néanmoins, il présente l’intérêt d’ouvrir le champ à une modalité particulière de direction générale des SAS, en mettant en lumière la possibilité de recourir à une convention conclue pour organiser la direction générale d’une société par actions simplifiée.

Aux termes de cet arrêt, il apparaît que les conventions de « management fees » ne sont pas proscrites , contrairement à ce que certains arrêts ont pu précédemment laissé entrevoir, mais qu’il convient d’être particulièrement vigilant lors de leur mise en place, au regard notamment de la forme sociale de la société bénéficiaire et des possibilités offertes le cas échéant par ses statuts, ainsi qu’au regard de l’identité des dirigeants des sociétés parties à la convention.

Les enjeux fiscaux, juridiques et sociaux peuvent en effet s’avérer significatifs en cas de remise en cause de la validité d’une telle convention de prestations de services.

Par conséquent, et à l’effet de limiter les risques susvisés, il semble opportun d’adopter notamment les réflexes suivants :

  • la société prestataire doit , dans la mesure du possible, être nommée en qualité de mandataire social de la société bénéficiaire (sous réserve que la forme sociale de cette dernière le permette), et la rémunération afférente doit être fixée par l’organe social compétent de la société bénéficiaire ;

  • les conventions de prestations doivent , le cas échéant être adoptées dans le respect des règles applicables aux conventions réglementées ;

  • la nature des prestations réalisées en application de la convention doit être déterminée en considération notamment de la forme sociale des sociétés concernées et des modalités d’organisation de leur direction, telles que prévues par leurs statuts ;

  • les prestations ne doivent pas être accomplies gratuitement , ni être rémunérées de manière excessive (sous peine de caractériser un acte anormal de gestion).

 

  • [i] Cass. com, 24 novembre 2015, n°14-19685, Société Tri environnement recyclage (TER) c/ Société Regards

  • [ii] CAA Nancy, 9 octobre 2003, n°98-2182, SA Gamlor ; CAA Bordeaux, 8 décembre 2005, n°02-1646, Société Moy Sanitaire

  • [iii] Cass. com, 14 septembre 2010, n°09-16084, Samo Gestion ; Cass. com, 23 octobre 2012, n°11-23376, Mécasonic

  • [iv] Cf note n°1

Chronique de Maîtres Olivier Greffard et Aurélie Richard du Cabinet Cornet Vincent Ségurel