Répartition du prix global d'un immeuble entre terrain et constructions : un enjeu à risque

21/12/2016 Par Pierre Appremont
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À l’approche de l’arrêté des bilans, il est opportun de revenir sur cette question qui a fait l’objet, en 2016, de deux jurisprudences importantes (CE, 15 février 2016, n° 380400, LG Services et n° 367467, SARL Daves) suivies d’un rapport récent de l’AFREXIM.

 

Sur le plan fiscal, l’enjeu est important puisque de cette répartition dépend le montant de la dotation aux amortissements, qui sera déductible du résultat soumis à l’impôt. Ceci est d’autant plus vrai qu’en cas de contrôle, l’Administration fiscale peut remettre en cause la répartition opérée par le contribuable sans limitation de temps. En effet, la prescription générale de 3 ans n’est pas applicable , le vérificateur rehaussant la valeur du terrain au titre du premier exercice non prescrit, quelle que soit la date à laquelle l’immeuble aura été acquis (il existe cependant des exceptions).

La répartition du prix global d’un immeuble entre terrain (non amortissable) et constructions (amortissables) n’est encadrée par aucune disposition comptable ou fiscale. L’acquéreur y procède sous sa propre responsabilité.

L’ensemble des critères devant être considérés (date de la transaction, lieu de situation, qualité et état de la construction, autorisations d’urbanisme, survaleurs…) rendent la tâche délicate. De fait, cette question donne régulièrement prise à des discussions avec les services vérificateurs.

Affaires du 15 février 2016 :

Dans ces deux affaires, l’Administration fiscale avait contesté la ventilation du coût entre terrain et constructions , retenue par deux sociétés en se fondant sur les valeurs des terrains et des constructions figurant au bilan de sociétés détenant des biens « comparables ». Les juges d’appel s’étaient rangés derrière la position de l’Administration.

En outre, dans l’une des deux affaires (n°367467), la cour administrative d’appel de Paris avait également validé la position de l’Administration fiscale qui retenait, pour les besoins de la ventilation opposée au contribuable, le prix global du bien à la date de son immobilisation (après travaux au cas d’espèce) et non à la date d’acquisition. Cette approche conduisait donc à admettre que les coûts des travaux venus augmenter le prix de revient de l’immeuble postérieurement à son acquisition soient inclus dans l’assiette de la ventilation.

La haute assemblée est venue annuler les décisions précitées en relevant notamment :

  • Que la cour d’appel de Paris avait omis de vérifier la régularité du recours à une analyse des données comptables issues du bilan d’autres contribuables par l’Administration fiscale ;

  • Que la ventilation du coût entre terrain et constructions doit être déterminée à la date de l’entrée du bien au bilan du contribuable, y compris en cas d’acquisition d’un immeuble existant à des fins de démolition-reconstruction ou de transformation.

Partant, les juges du Conseil d’Etat ont fixé trois méthodes de ventilation hiérarchisées :

  • 1ère méthode : Détermination de la valeur du terrain par référence à des transactions réalisées à des dates proches de celle de l’entrée de l’immeuble au bilan de l’entreprise et portant sur des terrains nus situés dans la même zone géographique ;

  • 2ème méthode : A défaut, détermination de la valeur de la construction à partir de son coût de reconstruction à la date de l’entrée de l’immeuble au bilan de l’entreprise avec prise en compte de sa vétusté et de son état d’entretien ;

  • 3ème méthode : En cas d’impossibilité de retenir l’une des deux méthodes précédentes, détermination de la ventilation du coût entre terrain et constructions à partir des données issues du bilan d’autres entreprises ayant acquis à des dates proches des immeubles comparables en termes de localisation et de type de construction.

Ces trois méthodes s’imposent tant à l’Administration qu’au contribuable qui demeure fondé (i) à démontrer leur mise en œuvre erronée par l’Administration fiscale et (ii) à apporter au débat d’autres données que celles qui lui seraient opposées.

Commentaires :

A notre connaissance, c’est la première fois que le Conseil d’Etat se prononce sur les critères de la ventilation du prix d’acquisition des immeubles entre terrain et constructions. Cependant, les principes dégagés par les juges semblent soulever des risques significatifs :

  • Faute de comparable, l’application de la 1ère méthode est très limitée en pratique pour les biens situés dans les grandes aires urbaines.

  • La 2ème méthode sera donc celle la plus souvent retenue . Or, elle occulte l’une des composantes déterminantes de l’évaluation des immeubles de rapport - les conditions locatives –, ce qui conduit mécaniquement à majorer la valeur du terrain au détriment de celles des constructions. En effet, la valeur des immeubles de rapport (en tout cas les actifs à usage professionnel) repose sur l’existence et la « qualité » des baux conclus, qui confèrent une survaleur par rapport à un immeuble vacant. Cette méthode conduit à affecter la totalité de la survaleur au prix de revient du terrain et entraîne nécessairement une réduction significative du montant des amortissements déductibles afférents aux constructions.

  • Ce n’est qu’à défaut de pouvoir utiliser cette méthode du coût de reconstruction que le Conseil d’État propose de rechercher des éléments de comparaison dans la comptabilité d’autres entreprises . Sans doute plus favorable aux entreprises, l’application de cette dernière solution demeure complexe à mettre en œuvre faute de disposer d’informations suffisantes (ce qui ne sera pas le cas de l’Administration fiscale qui pourra choisir, parmi une large base de données, les éléments de comparaison appuyant sa position).

Pour leur part, les standards EVS recommandent plusieurs méthodes pour répartir cette survaleur :

a . Déterminer la valeur du terrain supposé non aménagé et pour l’usage existant à la date d’évaluation, et déduire ensuite cette valeur de la valeur ou du prix du bien pour obtenir la valeur attribuable aux constructions ; ou

b . Déterminer le coût de remplacement net des bâtiments et des aménagements du terrain à la date d’évaluation, et déduire le montant obtenu de la valeur ou du prix du bien pour obtenir la valeur du terrain ; ou

c . Déterminer la valeur du terrain supposé non aménagé, déterminer ensuite le coût de remplacement net des bâtiments, ajouter les deux montants obtenus, puis ajuster chacun en proportion, de sorte que la somme de la valeur des deux composants devienne égale à la valeur ou au prix à ventiler.

L’AFREXIM considère quant à elle, que le rôle de l’expertise en estimation d’immeubles est de valoriser la survaleur mais que son affectation comptable doit ressortir des conseils comptables des investisseurs.

En définitive, il est vivement conseillé de faire procéder à des expertises croisées d’évaluateurs et de professionnels du chiffre intégrant les récents critères posés par le Conseil d’Etat afin de disposer de solides justificatifs en cas de contrôle, et d’éviter une mise en œuvre, pénalisante, de la « méthode de reconstruction » .

Pour rappel, en cas de remise en cause de la ventilation retenue, c’est l’intégralité des amortissements dotés depuis l’acquisition de l’immeuble qui peut être réintégrée, à hauteur de la quote-part des constructions jugée excessive, par le biais d’un rehaussement de la valeur du terrain.

L’enjeu peut donc être de taille !

Chronique de Pierre Appremont et Yacine BOUSRAF du cabinet Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP

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