Pour le contribuable, le salut vient parfois des normes européennes. Ces dernières constituent un corps de règles de plus en plus dense qui limite, à l’évidence, les prérogatives du législateur national qui les ignore cependant trop souvent.
Deux séries de normes doivent être relevées :
En premier lieu, les règles tirées du droit communautaire original ou dérivé.
Ainsi, la Cour de Justice des Communautés européennes a précisé dans quatre arrêts rendus en 1999 la portée de la liberté d’établissement à l’égard de certains aspects de la situation fiscale des entreprises multinationales (CJCE 29 avril 1999, aff. C-311-97 Royal Bank of Scotland ; 8 juillet 1999, aff. C-254/97, Société Baxter ; 21 septembre 1999, aff. C-307/97 Compagnie Saint Gobain ; 18 novembre 1999, aff. C-200/98 XAB-YAB). Par ailleurs,un arrêt récent en date du 16 mai 2000 (aff. C-87/99 Patrick Zurstrassen et Administration fiscale des contributions directes) a jeté les bases d’une solution qui devrait avoir des incidences notables en droit fiscal français en limitant l’imposition séparée des conjoints.
En second lieu, la convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CEDH du 4 novembre 1950, entrée en vigueur le 3 septembre 1953) qui a été ratifiée par la France en vertu de la loi du 31 décembre 1973.
Elle est très souvent invoquée par les contribuables devant les juges de l’impôt. Il convient de noter cependant une limite : le juge administratif de l’impôt considère que les dispositions de l’article 6-1 de la convention ne sont pas applicables en matière fiscale : en effet, selon le Conseil d’Etat, le juge de l’impôt ne statue pas en matière pénale et ne tranche pas de contestations sur les droits et obligations de caractère civil (CE 2 juin 1989, req. n°62-979).
Outre l’article 6-1 de la convention sur le droit au procès équitable, il pourrait être fait application de l’article 1er du premier protocole additionnel au terme duquel : toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte aux droits que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. Ce texte, en dépit de sa rédaction apparemment floue et peu contraignante, pourrait-il être invoqué par les contribuables à l’appui de la limitation des effets du plafonnement de l’ISF ? L’ISF, outre le fait qu’il alimente des rentrées fiscales relativement faibles, peut avoir des effets particulièrement pervers. En effet, compte tenu de la structure de cet impôt et de leur patrimoine, certains contribuables peuvent être conduits à aliéner chaque année une partie de leur capital pour faire face à leurs obligations fiscales (essentiellement paiement de l’ISF, de l’impôt sur le revenu et de la CSG). Il s’agit d’une situation particulièrement choquante qui est assez largement occultée. En effet, un impôt sur la fortune ne doit pouvoir logiquement être acquitté que sur les revenus des biens imposables et non les absorber totalement. Ce principe de morale politique ou économique élémentaire a été consacré sur le terrain juridique par le Conseil Constitutionnel dans une décision n°98-405 DC du 29 décembre 1998 de la manière la plus explicite : considérant que l’impôt de solidarité sur la fortune a pour objet de frapper la capacité contributive que confère la détention d’un ensemble de biens, et qui résulte des revenus en espèces ou en nature procurés par ces biens ; qu’en effet, en raison de son taux et de son caractère annuel, l’impôt de solidarité sur la fortune est appelé normalement à être acquitté sur les revenus des biens imposables .
Le législateur a été parfaitement conscient de ces effets pervers car il a introduit un plafonnement de cet impôt. Selon l’article 885Vbis du CGI (ancien article 885Y), l’impôt de solidarité sur la fortune du redevable ayant son domicile fiscal en France est réduit de la différence entre deux points :
d’une part, le total de cet impôt et des impôts dus en France et à l’étranger au titre des revenus et produits de l’année précédente ;
et d’autre part, 85 % du total des revenus nets de frais professionnels soumis en France et à l’étranger à l’impôt sur le revenu au titre de l’année précédente et des produits soumis à un prélèvement libératoire de cet impôt.
Or, ce plafonnement a été limité dans l’indifférence générale (et par un Parlement dit de droite) par l’article 6-4 de la Loi de Finances pour 1996. Cet article a prévu pour les redevables qui disposent d’un patrimoine taxable excédent la limite supérieure de la troisième tranche du tarif fixé à l’article 885U du CGI, une limitation des effets du plafonnement sur leur cotisation d’ISF. Plus concrètement, si le patrimoine taxable est supérieur à 22 417 000 F (ISF avant plafonnement supérieur à 145 140 F), l’allègement qui résulte du plafonnement est limité à 50 % de l’ISF. Selon un exemple tiré de l’instruction du 1er juin 1999(BOI 7 S-6-99) un contribuable qui dispose d’un total de revenus de 950 000 F peut se retrouver avec un ISF à payer de 787 410 F. L’exemple choisi par l’Administration n’est à l’évidence pas le pire, et ne traduit pas totalement les effets spoliateurs de la limitation des effets du plafonnement de cette imposition. A l’évidence, il est possible de s’interroger sur la constitutionnalité de cette disposition eu égard à la décision précitée du Conseil constitutionnel n° 98-405 du 29 décembre 1998.
Toutefois, ce débat sur la constitutionnalité risque sur le terrain du droit positif de rester lettre morte. En effet, les conditions de saisine ne permettent pas de saisir le Conseil Constitutionnel pour apprécier la conformité de l’article 6-4 de la Loi de Finances pour 1996 à la norme constitutionnelle ; en outre, le juge de l’impôt ne peut apprécier l’exception d’inconstitutionnalité de la loi.
Une échappatoire apparaît cependant possible pour les contribuables.
En effet, le juge de l’impôt assure un contrôle dit de conventionnalité qui lui permet d’écarter la norme nationale contraire au traité international. Or, aux termes d’une argumentation passablement étayée, il serait possible de considérer que la limitation des effets du plafonnement de l’ISF est contraire à l’article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales. En effet,le juste équilibre qui doit exister entre d’une part la nécessaire protection du droit de propriété et d’autre part, la sauvegarde de l’intérêt général, est rompu au détriment du premier de ces éléments. Ce déséquilibre grossier pourrait être à l’évidence apprécié par la Cour européenne des Droits de l’Homme. Naturellement,l’ample attitude de la marge d’appréciation dont les états doivent jouir dans ce secteur, amène à payer un important tribut : une violation de l’article premier de la part d’un état ne saurait être retenue qu’au cas où la mesure prise par l’état s’avérait manifestement dépourvue de bases raisonnables. Autrement dit, les organes de la convention sont appelés, non pas à contrôler le caractère raisonnable ou non de la décision de l’état, mais à dire si celle-ci est ou non manifestement déraisonnable. On exprime le même concept si l’on affirme que du principe du juste équilibre ne découle pas la conséquence que tout déséquilibre créé dans l’intérêt général et l’intérêt du particulier est source d’illégalité : seul un déséquilibre majeur, pesant sur celui-ci de façon excessive ou exorbitante justifierait une telle conclusion. Encore si l’on veut utiliser la notion équivalente de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, on dira que ce qui viole la Convention est une disproportion pouvant être qualifiée de grave ou manifeste .( cf : Luigi CONDORELLI Commentaire de l’article 1 du premier protocole additionnel in La Convention Européenne des Droits de L’Homme . Commentaire article par article . ECONOMICA 2 ème édition , p . 971 et s . ).
En l’espèce, il est difficile d’admettre qu’une telle violation ne soit pas manifeste. Ce contrôle de conventionnalité peut donc être parfaitement exercé par le juge de l’impôt (qui est dans le cas de l’ISF le juge judiciaire) dans le cadre du contentieux classique de l’imposition. Contrairement, à ce qui est parfois soutenu, il apparaît impossible de saisir directement la cour européenne des Droits de l’Homme car selon l’article 35 du protocole n°11 : la Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours interne, tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnu, et dans un délai de six mois à partir de la date de décision interne définitive .
Les contribuables doivent donc, préalablement à la saisine de la Cour, épuiser au préalable les voies de recours internes.