Fraude fiscale et saisie pénale : peut-on se mettre à l’abri des poursuites ?

04/07/2017 Par Patrick F. Cocheteux
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La saisie de biens criminels, c’est-à-dire obtenus d’une manière légale avec des moyens financiers d’origine criminelle, apparaît comme moralement satisfaisante mais pose des problèmes juridiques. Des tiers à la procédure pénale concernant le contribuable peuvent en effet se trouver concernés dans la mesure où le bien sur lequel ils ont des droits sont saisis. Le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale est un objectif du pouvoir exécutif que l’autorité judiciaire a pleinement intégré, dans une vision même parfois extensive comme le relève un auteur.[1].

Un arrêt récent de la chambre criminelle de la Cour de Cassation vient à nouveau préciser la mécanique des poursuites dans l’affaire Balkany.

Introduction

Les fraudeurs impénitents (art.1741 CGI) ont l’habitude de mettre à l’abri leur patrimoine par toute une série de stratagèmes juridiques. Le plus simple et le plus pertinent consiste à apparaître comme insolvable en donnant ses biens mais l’action paulienne permet au fisc de rétablir la vérité et d’exercer une action en recouvrement, certes lente et difficile mais pouvant être efficace. La saisie pénale est venue bouleverser ce schéma car elle est destinée à garantir l’exécution de la peine de confiscation susceptible d’être prononcée à l’encontre de la personne poursuivie.

I. L’art d’échapper aux conséquences pénales de la fraude fiscale

La confiscation est une peine complémentaire encourue de plein droit en matière de fraude fiscale en application de l’article 131-21 du code pénal. La loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 a instauré le principe général selon lequel tout bien susceptible de confiscation en application de l’article 131-21 du code pénal peut faire l’objet d’une saisie pénale au stade de l’enquête. Ces dispositions autorisent, pour les infractions punies d’au moins cinq ans d’emprisonnement, une confiscation élargie du patrimoine du condamné pouvant porter non seulement sur les biens dont le condamné est propriétaire mais également sur les biens dont il a la libre disposition sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi. Corrélativement, il peut être procédé à une saisie patrimoniale élargie sur le fondement notamment de l’article 706-148 du code de procédure pénale.

On comprend bien que l’interposition de personnes est en conséquence un moyen pour le fraudeur de dissimuler ses propriétés immobilières et d’évacuer le risque de saisie. Comme il reste toujours une part de méfiance envers la personne qui apparaîtra comme le véritable propriétaire, le fraudeur est tenté de conserver un lien avec le bien en pratiquant une indivision ou un démembrement de propriété.[2]. La Cour de Cassation a renouvelé le frein mis à cette tendance avec un arrêt prononcé dans l’affaire Balkany.[3]. Après cette jurisprudence, on pourra conseiller au fraudeur de donner vraiment et intégralement ses biens dès qu’il le peut et en tout état de cause avant la réception d’un avis de vérification.[4]. Evidemment le risque est alors grand de voir disparaître le profit de la fraude au bénéfice d’un récipiendaire indélicat et la personne de confiance ne pourra pas être un simple homme.[5] de paille choisi au hasard. Elle sera à choisir dans la famille ou avec la création d’une personne morale dont le fraudeur ne possédera aucune part.

II.Le tiers n’est pas à l’abri en cas de démembrement

Le schéma est assez classique dans l’affaire Balkany.[6] où les parents conservent l’usufruit d’un bien et donnent la nue-propriété à leurs deux enfants. Seul un d’entre eux est poursuivi pénalement ainsi que les parents mais l’ensemble du bien est pourtant saisi car il résulte des constatations du juge d’instruction que le démembrement n’a pas privé effectivement les mis en examen des attributs inhérents aux droits du propriétaire.

L’art. 131-21 du Code pénal prévoit la confiscation de tous les biens meubles ou immeubles, quelle qu’en soit la nature, divis ou indivis, ayant servi à commettre l’infraction, qui étaient destinés à la commettre ou qui sont le produit direct ou indirect de l’infraction et dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition. Si le produit de l’infraction a été mêlé à des fonds d’origine licite pour l’acquisition d’un ou plusieurs biens, la confiscation peut ne porter sur ces biens qu’à concurrence de la valeur estimée de ce produit.

On comprend bien qu’il est difficile pour la personne poursuivie d’apporter la preuve qu’une partie des biens a été acquise avec des fonds hors fraude fiscale sauf si l’acte d’achat est antérieur au début de l’activité frauduleuse. Il est également difficile pour le tiers de bonne foi de justement prouver celle-ci dans le cadre d’un cercle familial.[7]. Ceci d’autant plus que l’acte de donation comporte en général une clause d’inaliénabilité durant la vie des donateurs. La Cour de Cassation estime alors que « compte tenu de ses modalités, la donation n’a pas privé effectivement [les personnes poursuivies] des attributs inhérents aux droits du propriétaire.[8]».

III.L’atteinte au droit de propriété du tiers de bonne foi

Tout l’intérêt du tiers est d’apparaître comme un tiers de bonne foi. Un auteur.[9] a pu ironiser sur ce terrain en indiquant : « pour prouver sa bonne foi, un tiers propriétaire doit-il démontrer qu’il n’est pas coupable d’infractions (recel, complicité de délit, blanchiment,…) qu’on ne lui reproche pas ? ».

Le Conseil Constitutionnel.[10] a eu l’occasion de se prononcer sur la constitutionnalité de la saisie pénale alors que selon les requérants, les dispositions de l’art.706-153 du CPP portent atteinte au droit de propriété, dès lors que la saisie de biens ou droits incorporels qu’elles instituent peut être ordonnée sur un soupçon et se prolonger jusqu’au jugement. Le Conseil considère que le prononcé de la décision de saisie pénale par le juge des libertés ou le juge d’instruction et les voies de contestation ouvertes garantissent suffisamment le droit de propriété.

Un tiers de bonne foi peut tout simplement être le bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie et depuis la loi de 2013 existe la possibilité de confisquer judiciairement les contrats d’assurance-vie dans le cadre d’une enquête pénale. Le texte.[11] énonce : « La décision définitive de confiscation d’une somme ou d’une créance figurant sur un contrat d’assurance sur la vie, prononcée par une juridiction pénale, entraîne de plein droit la résolution judiciaire du contrat et le transfert des fonds confisqués à l’État ». Le juge est au courant des dispositions du souscripteur par interrogation du fichier Ficovie.[12].

L’acquisition d’un immeuble par l’interposition d’une SCI.[13] ne constitue pas celle-ci comme tiers de bonne foi. Les circonstances de l’attribution des parts par des personnes poursuivies pour fraude fiscale ne militent pas en effet dans ce sens : perception de dividendes de la société auteur de la fraude réinvestis dans l’achat des parts de SCI, remboursement par la SCI du prêt souscrit par les personnes poursuivies par exemple. Le nombre de parts possédées par la personne poursuivie incite évidemment le juge à considérer celle-ci comme le véritable propriétaire.[14] via des sociétés écrans.

La saisie des immeubles dont la confiscation est prévue n’est pas limitée aux biens des personnes mises en examen, mais s’étend à tous les biens.[15] qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction, peu important que ceux-ci aient été acquis pour partie avec des fonds d’origine licite, emprunt bancaire par exemple. La présomption d’innocence n’écarte pas la possibilité d’une saisie pénale par une atteinte qui apparaîtrait excessive et disproportionnée par rapport au principe même de la présomption d’innocence.[16] .

Conclusion.

Pour échapper à la saisie pénale puis à la confiscation, les auteurs de fraude fiscale sont dans l’urgence de renouveler l’art de l’organisation d’insolvabilité pour mettre leurs biens à l’abri des poursuites. Sans que cela soit totalement efficace, un niveau de protection élevé du patrimoine réside dans la possession de biens à l’étranger, dans un pays qui n’a pas de convention avec la France pour le recouvrement de l’impôt.

 


1Sébastien Fucini, 26 juin 2017, Saisie pénale d’un bien démembré : possibilité de saisir l’ensemble du bien, Dalloz actualités. Cet article vise l’interprétation extensive de la Cour pour l’article 131-21 du code pénal tel qu’applicable au moment des faits
2Cass. Crim, 4 mai 2016, 15-87.716, Inédit
3Cass. Crim. 31 mai 2017, FS-P+B, n° 16-86.872
4Ceci pour éviter la fraude paulienne
5Cass. Crim, 19 novembre 2014, n°13-85150
6Cf. note n°2
7Cass. Crim, 9 décembre 2014, n°13-85150 ; Cass. Crim, 3 février 2016, n°14-87754
8Ibidem Aff. Balkany
9Matthieu Hy, 7 février 2017, Le tiers propriétaire en matière de saisie pénale immobilière et de confiscation : pas coupable mais responsable ?, Le village de la justice
10Cons. const., 14 Oct. 2016, n° 2016-583/584/585/586 QPC. Société Art Courtage France SAS et société Finestim SA
11Article 41 de la loi sur la fraude fiscale n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 (JO 7 décembre 2013)
12Le fichier « FICOVIE » recense les contrats de capitalisation ou les placements de même nature, notamment les contrats d’assurance-vie, dont le montant est supérieur ou égal à 7 500 €. Il est accessible par l’administration fiscale et alimenté par les compagnies d’assurances
13Cass. Crim. 9 mars 2016, n° 15-80.955. JURITEXT000032194538
14CA Aix-en-Provence, 14 janv. 2016, n° 15/09470. Dans cette affaire, le gérant poursuivi pour fraude fiscale possédait 5999 parts sur 6000, occupait les lieux et ne payait pas de loyer à la SCI
15Cass. Crim. 4 septembre 2012, 11-87.143, Publié au bulletin
16Cass. Crim. 23 juill. 2014, n° 13-85.558
 

 

Chronique de Patrick Cocheteux Docteur en droit